Le renoncement à l’image de soi (Pour la Saint François)

Frères et sœurs, chers amis, les lectures de cette fête pourraient nous conduire dans une mauvaise direction : le Siracide dresse un portrait élogieux de Simon, prêtre de la plus haute classe qui consolida le sanctuaire et la cité, et l’évangile semble tenir la croix à distance en nous proposant un portrait du disciple appelé à se reposer auprès de Jésus et à porter un joug qualifié de facile. Fêterions-nous donc aujourd’hui un prince de l’Église comblé ? En un certain sens oui, mais non pas comme on pourrait l’entendre : si l’on a dit de saint François qu’il était la plus belle figure du Christ, ce n’est pas pour avoir connu les honneurs, mais bien pour avoir descendu les degrés de l’humilité. Car la suite du Christ n’a rien de facile ni souvent d’honorable.

Il est vrai que, une fois refermé le livre des Fioretti de saint François, on peut se tromper : on y parle aux oiseaux et aux loups, on se déplace volontiers dans les airs, les candidats se pressent à la porte, la parole du prédicateur est toujours touchante, les grands de ce monde acceptent volontiers de renoncer à tous leurs biens, bref, le succès est là et paraît facilement acquis. Mais il est une autre réalité qui ressort aussi de cet ouvrage bien connu. Par exemple, les jeûnes nombreux et la vie très rude qu’implique la volonté d’accueillir dame Pauvreté ; ou encore, l’insistance de François à accueillir sereinement les pires humiliations. Vous connaissez cette histoire, bien sûr, dans laquelle François interroge longuement frère Léon sur ce que peut être la parfaite félicité pour conclure, après avoir écarté beaucoup de mirages : « se vaincre soi-même et supporter pour l’amour du Christ peines, injures, opprobre, est la grâce la plus précieuse que nous puissions recevoir de l’Esprit-Saint. Car nous ne pouvons nous glorifier d’aucun autre don de Dieu puisque tous lui appartiennent (..) Mais quand il s’agit de porter une croix d’afflictions, tu peux en ressentir quelque fierté puisque cela n’appartient qu’à toi ».

Voilà ce qui fait le tout-petit dont parle l’évangile, voilà ce qui atteint inévitablement celui qui se met à la suite du Christ : l’humilité au prix de beaucoup d’humiliations. Certains diront : alors, elle est bien pénible cette vie, elle ne mérite guère que l’on s’y consacre, passons notre chemin. Ce n’est pas du tout pourtant l’impression que laissent les Fioretti, où la joie règne à toutes les pages, ni non plus l’enseignement de Jésus qui parle d’un joug facile à porter et d’un fardeau léger. En vérité, si l’humiliation nous coûte, si l’humilité ne nous est pas spontanée, il reste que, lorsqu’elle est accueillie, elle nous affranchit de cela qui pèse bien trop lourd dans nos vies, l’image que nous avons de nous-mêmes et que l’on cherche sans cesse à défendre : telle est la force et la grandeur des tout-petits, ils ont renoncé à cette image.

Le très connu baiser au lépreux de notre père saint François a sans doute représenté pour lui cette libération salutaire, un renoncement à ce qu’il croyait à tort être lui-même, une Pâque qui l’a transformé de fils de Pierre Bernardone en frère et compagnon du Christ. Libéré de lui-même, François peut désormais être tout à Dieu, avec cette joie profonde que nul n’allait plus pouvoir lui enlever.

Jésus lui-même a connu cette nécessité de renoncer à sa volonté propre, et à l’image de soi qui l’accompagne, jusqu’à Gethsémani – « non pas ma volonté, mais la tienne » ; Paul l’a suivi comme le rappelle la deuxième lecture – « Le monde est à jamais crucifié pour moi et moi pour le monde » – mais aussi tous les saints et vrais disciples de Jésus. Ce renoncement n’est pas que peine, il est aussi repos avec Jésus, joie avec François, paix et miséricorde avec Paul. Ce chemin est proposé à chacun de nous : frères et sœurs, avec François, acceptons de renoncer à ce que nous croyons être, pour nous retrouver tels que Dieu nous veut et nous connaît.

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