Courir après le temps…

Ce qui m’aura le plus frappé pendant mon séjour en France qui s’achève, c’est l’accélération du temps : il s’agit de ne pas perdre une minute ! Voyez les gens  collés à leurs portables, le rythme élevé des pas, une espèce d’ambiance angoissée… A Jérusalem, en tout cas dans la partie est où j’habite, comme en Haïti et dans tant d’autres pays du monde, on a le temps, ce qui ne manque pas d’irriter un occidental, bien contraint pourtant de s’y faire. La vitesse serait-elle donc le signe du développement ? Est-elle absolument indispensable ?

Je repense aux travaux, bien peu connus en France, de Jacques Ellul sur la société technicienne et son rapport au temps, par exemple dans son ouvrage « La parole humiliée ». Il dénonçait une société qui s’appuie sur l’espace plus que sur le temps, sur l’image plus que sur la parole. Oui, la vitesse est le propre d’une telle société, mais sans doute pas du développement. Elle n’est pas en tout cas liée à son bien-être.

Beaucoup de mes contemporains semblent en prendre conscience, du moins tous ceux qui aspirent à une pause, à un temps de congé ou de retraite, à « autre chose ». Mais il faut que nous nous rendions compte à quel point nous sommes aujourd’hui façonnés par cette société technicienne : faire face à un temps vide, limiter ses projets, accepter que coule le temps dans sa durée, n’est pas sans générer en chacun de nous de profondes angoisses. Une heure vide est le plus souvent une heure que l’on se hâte de remplir ! Il n’est pas facile de prendre le temps de la prière, de la méditation, de la distance ; autrement dit le temps du temps. Même dans les monastères et autres lieux du même genre.

Derrière tout cela, il y a sans doute l’idée plus ou moins consciente que l’homme serait maître du temps, qu’il lui faut donc se l’approprier, et qu’il pourrait ainsi maîtriser la mort. Alors même que se vérifie sans cesse l’expression « je cours après le temps », sans jamais en fait le rattraper. Le temps nous est donné, nous n’en maîtrisons ni le commencement ni la fin : nous devrions sans cesse nous le rappeler ! La société moderne nous berce d’illusions. Il est bon que certaines sociétés, et certaines personnes, soient les témoins d’un autre rapport au temps. Et qu’elles envisagent autrement du coup la fin du temps des choses ou des êtres, autrement dit la mort.

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