D’une seule voix

« D’une seule voix » est en premier lieu le titre d’une série de concerts donnés en France par notre ami Jean-Yves Labat de Rossi, ensuite du DVD musical qui a matérialisé cette entreprise, enfin du film magnifique réalisé par Xavier de Lauzanne et distingué par la critique : j’ai déjà parlé de tout cela sur ce blog. Il s’agissait, à la manière d’un Daniel Barenboïm, de rassembler des artistes de confession juive, musulmane, arménienne ou autre, pour et par la beauté du chant et de la musique. A l’époque, en 2008, le critique de Télérama écrivait : « Belle et fugitive image d’une réconciliation possible, malgré tout ».

Sans doute, mais nous sommes à la fin de l’année 2011 et l’on peut se demander si l’adjectif « fugitive » n’est pas devenu le fin mot de l’affaire. « D’une seule voix » suppose des voix différentes qui s’accordent. Mais l’impression qui prévaut aujourd’hui pour celui qui habite la Terre Sainte est que l’on n’y entend plus qu’une seule voix d’un côté ou, à l’inverse, des voix impossibles à accorder de l’autre côté ! Un moment, un court moment, il n’y a pas très longtemps, on a pu se demander si l’on n’allait pas entendre une autre voix, celle du peuple palestinien, qui commençait à s’élever du côté de l’ONU : feu de paille apparemment, d’autant plus rapidement éteint qu’il a très vite donné naissance à des contre-feux au sein du même peuple. Là, oui, il y a bien plusieurs voix, mais certaines n’ont de cesse de chanter des partitions très différentes, voire même totalement dissonantes.

Dommage parce que l’on se disait que la voix palestinienne allait prendre la place, laissée tout à fait libre, d’une autre voix totalement enrouée depuis longtemps, celle d’une opposition locale, ou mieux la stimuler : mais non, en Israël même, dans ce pays démocratique comme d’ailleurs dans bien d’autres pays démocratiques, le peuple (demos) ne parle plus, il n’y a plus de débat, ou bien le débat est clos. Sauf dans quelques forums et journaux.

Parce qu’il y a heureusement et toujours quelques hommes et femmes courageux qui tentent de faire entendre une autre voix, même si, à la manière d’un Jean-Baptiste, figure centrale de cet Avent pendant lequel j’écris ce billet, « ils crient dans le désert ». Parmi eux, se trouve un journaliste talentueux du quotidien de langue anglaise, Haaretz : Gideon Levy. De lui aussi, j’ai déjà parlé sur ce blog. Je ne résiste pas, avec son accord, au plaisir de vous communiquer au format PDF l’un de ses derniers articles, en espérant que les lecteurs de ce blog comprennent suffisamment l’anglais.

Ce n’est pas un monde rêvé que nous décrit G. Lévy, c’est le monde dans lequel il vit, celui qu’il voit. Un monde qui change bien sûr, c’est dans la nature du monde. Mais aussi hélas ! un monde qui se laisse grignoter par un intégrisme pernicieux et subtil. Dont le leitmotiv est la pureté. Pour un dominicain comme celui qui écrit ces lignes, comment ne pas penser aux « parfaits » contre lesquels a lutté, oui lutté, saint Dominique ; comment ne pas penser plus encore à Jésus, à ses combats contre les Pharisiens et les scribes dont beaucoup, au nom de la pureté, discriminaient, excluaient, chassaient… Il ne faisait pas bon, à l’époque, manger à la table des publicains et des pécheurs.

Un monde pur, qui ne le voudrait ? Mais qui fait l’ange fait la bête. Quand on veut faire naître ce monde par l’orgueil, fût-il le plus caché, par la violence, par l’exclusion, c’est un autre monde que l’on engendre, un monde lisse, uniforme, dans lequel on n’entend plus qu’une voix, celle du dominant, en fait celle du Prince des Ténèbres. Le monde contre lequel met en garde G. Lévy dans la fin de son article, et qui est déjà là !

P.S. On pourra relire, en complément de cet article, celui que j’écrivais le 15 décembre 2009 sur l’interférence du religieux et du politique. Il dénonçait une réalité qui a pris de l’ampleur depuis au sein des forces armées israéliennes, et que dénonce aussi G. Lévy dans son article, l’intrusion de l’intégrisme religieux.

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