Un artiste de talent

Sans doute, cher lecteur, en avez-vous déjà rencontré. Mais à quoi se reconnait, à vos yeux, le talent en question ? S’agit-il là d’une appréciation éminemment subjective, que certains confirmeront quand d’autres s’y opposeront ?

Pour ma part, je ne le crois pas. Je pense ici à cette phrase de la lettre aux Hébreux pour caractériser Abraham : « comme s’il voyait l’invisible » (11,27). Mon interprétation, qui pourra paraître à beaucoup très banale mais qu’il n’est pourtant pas inutile de redire, est que cette caractérisation s’applique non seulement à Abraham au moment où il quitte l’Egypte, mais à tous les artistes qui vous conduisent au-delà du sujet qu’ils traitent ou incarnent, si possible jusqu’à l’invisible. 

Une telle caractérisation ne se limite pas à telle ou telle catégorie d’artistes, par exemple les peintres, mais aussi aux romanciers, aux acteurs, aux photographes, ou même.. aux prédicateurs : tant il est vrai qu’il existe un art de la prédication et que la parole peut vous conduire loin. En outre, et c’est peut-être plus important, cette caractérisation implique que ce n’est pas la ressemblance à un modèle, la « fidélité au sujet », qui va révéler le talent, sans bien sûr non plus l’exclure, mais la capacité à en révéler quelque chose que l’œil ou l’intelligence commune ne perçoivent pas spontanément.

Bien sûr, il reste une dimension subjective dans une telle appréciation, liée par exemple au caractère et à l’histoire de chacun, et tous ne vibreront pas pour les mêmes choses et en même temps, mais cette aptitude à faire percevoir un au-delà de l’objet ou de la parole, à nous faire voir l’invisible, à nous entraîner vers lui, reste quand même une dimension essentielle du talent que beaucoup sauront reconnaître.

Sur le mur, à côté de mon bureau, se trouve le « portrait » d’un balayeur de rues de la ville de Cuzco : c’est un dessin réalisé au crayon et à la gomme que m’a donné, il y a plusieurs dizaines d’années, un jeune artiste péruvien de passage en France. Peut-être ressemble-t-il beaucoup au modèle original, mais je n’en sais rien car je ne connais pas le modèle, et c’est très bien ainsi. Le talent se trouve ailleurs : le regard de cet homme, admirablement transmis par l’artiste, me transporte au-delà du modèle, me fait presque toucher son humilité… et celle de Dieu.

C’est très beau, comme sont très belles les lignes de Mondrian, les sculptures de Botero, les chansons d’Adèle avec son timbre de voix particulier, ou bien encore les aquarelles d’une de mes nièces ou les photos que réalise son mari, ces dernières ne représentant pourtant pour l’essentiel que des parties de murs urbains. Toutes ces œuvres suggèrent beaucoup plus qu’elles ne disent ou ne montrent, elles s’avancent et s’effacent en même temps. Et vous n’auriez rien vu ou entendu si l’on ne vous avait pas montré ou parlé.

Voilement/Dévoilement, vue sur un au-delà : quand une oeuvre permet cela, pour moi, l’artiste est là, mais c’est aussi Dieu qui passe !

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