Ouvrir une porte devant celle qui se ferme

Des pas sur le sableJe viens d’achever la lecture successive de deux livres somptueux d’intelligence, de délicatesse et de justesse spirituelle, Deux petits pas sur le sable mouillé et Une journée particulière, tous deux écrits par Anne-Dauphine Julliand : il y a beaucoup à apprendre des réflexions de l’auteur, et des conférences qu’elle donne aujourd’hui en de nombreux lieux, souvent en collaboration avec son mari, Loïc. Beaucoup des lecteurs de ce blog ont dû lire au moins le premier des deux ouvrages, et savoir qu’ils sont l’écho, personnel et familial, de la mort d’une petite fille de trois ans trois quarts (les quarts comptent dans ce type de situation, comme le rappelle l’auteur), Thaïs, et de la maladie de sa soeur, Azylis. Toutes deux ont souffert ou souffrent d’une maladie génétique, encore incurable, touchant le système nerveux et entraînant l’extinction progressive des facultés (ouïe, vue, mobilité etc.).

On peut donc difficilement faire plus juste, plus beau, plus émouvant sur un tel sujet que ce qui est écrit dans ces pages, et je ne me propose pas ici de les « doubler », n’ayant d’ailleurs pas le centième du talent scripturaire d’Anne-Dauphine Julliand. Je voudrais juste revenir sur un point abordé dans le deuxième ouvrage, celui des relations avec l’entourage : l’auteur exprime formidablement bien comment cet entourage, par peur, faiblesse, timidité, ou quelque autre raison, a bien du mal à exprimer sa compassion face à des événements très douloureux, et combien la solitude de ceux qui souffrent s’en trouve renforcée. Au moment même où elle aurait besoin d’être partagée. Ce sentiment de solitude, largement expérimenté par Anne-Dauphine Julliand et son mari, se trouve exister dans bien d’autres situations et m’a été rapporté bien des fois : les malades et leur environnement immédiat sont souvent les premiers à l’expérimenter, mais aussi ceux qui perdent leur travail, ou leur conjoint ; ou bien encore ceux que certains engagement « professionnels » ont tenu un bon moment à l’écart de la vie quotidienne de leurs amis, créant un irrémédiable fossé.

Toutes ces situations, que l’on peut dire de « pertes », n’ont pas le même poids de souffrance ni la même gravité, certes, mais elles sont toutes douloureuses et surtout elles concourent au même résultat : ceux qui les subissent les perçoivent comme des portes qui se ferment et dont ils ont du mal à s’éloigner. Ils peuvent alors se replier sur leur peine ou leur douleur, mais c’est un mauvais choix : et je parle de choix en plein accord avec Anne-Dauphine Julliand qui souligne que, si l’on ne choisit pas les événements de sa vie, on choisit la manière de les vivre. Une porte qui se ferme, c’est une autre qui peut s’ouvrir, à condition d’accepter la situation aussi douloureuse qu’elle soit, et de se mettre humblement et patiemment à la recherche d’une autre porte, et elle existe : cela peut prendre du temps, demander bien de la constance parce que rien n’est jamais acquis, passer par de nouvelles souffrances ou de nouveaux renoncements, mais ce temps-là, lieu d’une confrontation avec soi-même, n’est pas du temps perdu, il est le moment d’un approfondissement personnel, une préparation à la nouvelle étape.

La conviction que je viens d’exprimer est une conviction humaine, fruit d’une certaine expérience, mais elle est aussi une conviction spirituelle, parfaitement liée à cette espérance dont parle aussi Anne-Dauphine Julliand : que notre patience soit donc à la mesure de la patience de Dieu, sachant qu’en définitive « il fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment » (Romains 8,28).

13 commentaires à propos de “Ouvrir une porte devant celle qui se ferme”

  1. Merci, Hervé, pour ce beau texte, juste et vrai. Je peux témoigner que, lorsqu’une porte se ferme, une autre est prête à s’ouvrir. J’ajouterai simplement que ce « passage » n’est jamais définitif, n’est pas fait une fois pour toutes. Et que c’est presque jour après jour qu’il faut choisir de s’engouffrer dans la porte de la vie. Autre façon d’exprimer « la résilience ». Mais, cela vaut la peine!

    • Salut HERVE,
      Je viens de lire avec le plus vif intéret ta recension des deux livres que tu nous a partagée, inutile de te dire qu’en fonction de mon passé la résonance est vive et quelque peu brulante. Merci pour ta conclusion oh combien réelle et biblique. Merci à notre amie commune qui m’a partagé ce texte. Amicalement. Michel

  2. Merci fr Hervé pour ce commentaire qui décrit si finement ce que provoque la perte. A transmettre sans modération à ceux qui souffrent en ce temps de l’Avent!
    Isabelle

  3. Merci Hervé d’évoquer cette vérité. Même s’il est toujours difficile de tirer des généralités de cas particuliers et de projeter un comportement personnel à partir de la souffrance d’autres, il me semble que tous, dans notre cœur, nous avons l’intuition que nous détenons les clefs de notre bonheur et de la vie pleine. Contrairement à ce que nous dit la civilisation de la télévision – ou la société du spectacle – qui repose et prospère sur la perception de soi comme un être éternellement insatisfait, voire désormais handicapé, qu’il conviendrait de remplir de choses et de parfaire de technologie.

  4. Hervé, j’aime beaucoup le message que tu veux porter. En revanche, j’ai lu ce livre et je ne suis pas aussi enthousiaste…je n’ai pas aimé que l’on expose ces problèmes médicaux et cette souffrance, cette angoisse devant le diagnostic médical. cela entraîne une part de voyeurisme. combien en ai-je entendu dire « la pauvre c’est affreux ce qu’elle a vécu! » se rassurant ainsi que ce ne soit pas eux, se rassurant aussi que cette souffrance n’est pas vaine puisque le seigneur est là…je trouve cela souvent un peu « cucul la praline ». La maladie d’un enfant est une souffrance profonde et l’on est pas seul pour la vivre, certes, heureusement que l’on passe vers l’espérance mais je crois qu’il faut le vivre et pas le lire tranquillement assis dans son canapé…
    je comprends qu’elle ait eu besoin d’en parler, mais je n’aime pas les réactions de certaines lectrices, et j’ai trouvé très désagréable de le lire…
    à très bientôt!!!

    • Merci, Blandine, pour ce commentaire qui ne va pas tout à fait dans le sens du vent, autrement dit de l’accueil fait au livre et à la conférencière. Je comprends et respecte cette réaction, surtout quand elle émane de quelqu’un qui sait ce que la souffrance d’enfants et de parents veut dire. D’un autre côté, je dois dire que je n’ai pas perçu de voyeurisme dans les livres évoqués, ni dans les propos de la conférencière tels qu’on peut les trouver sur Youtube : elle manifeste une vraie pudeur, et lorsqu’elle parle de choses personnelles, c’est d’abord parce qu’elle veut en tirer une leçon utile à tous.
      Ton propos le montre : s’il y a du voyeurisme, il se trouve chez certains lecteurs, mais j’ai le sentiment qu’ils sont très peu nombreux et qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent, ou de quoi Anne-Dauphine leur parle. Dommage !

  5. bien sûr ! d’ailleurs je n’ai jamais eu l’occasion d’entendre lors d’une conférence Anne Dauphine mais je crois qu’elle est très très chouette!…mon propos n’était pas de blesser et encore moins de la critiquer. Nous sommes très très démunis face à de pareilles situations et je préfère le silence du recueillement. Mais c’est important que des gens passent le message de l’espérance avec tant de courage…bon c’est compliqué tout ça…

  6. Merci Hervé pour ce billet.
    Tu vois, tout le monde parle en bien de ces livres et je ne doute pas un instant de l’amour d’Anne-Dauphine Julliand et de son mari pour leurs enfants. Néanmoins quelque chose m’échappe. Quand on a trois enfants dont deux ont une maladie génétique grave, comment peut-on prendre le risque d’en avoir un quatrième ? Certes, par chance, Arthur n’est pas atteint mais tu vois je ne peux pas comprendre qu’ils aient pris un tel risque ! Je trouve que pour le coup c’est au mépris de la souffrance de leurs filles, celle décédée, celle lourdement handicapée. Et cela me rebute tellement que, non, je ne lirai pas leur témoignage aussi beau soit-il.
    Bien à toi.

    • Anne-Dauphine en parle dans « Une journée particulière » : elle explique qu’il s’agit d’une décision intime qu’on lui a reprochée, mais elle tente néanmoins de se justifier. Eh ! bien je la comprends : dès lors qu’elle était prête à assumer toutes les conséquences éventuelles d’une nouvelle naissance, et elle l’affirme, dès lors que l’enfant à naître ne serait pas nécessairement porteur de la maladie, comme leur aîné, oui, je comprends qu’ils (ce fut dit-elle à l’origine une demande de son mari) aient voulu donner encore une chance à la vie. Pour eux, mais aussi pour cet aîné. Et même pour leurs filles.
      J’ajoute que je trouve que ce genre de question, même si j’essaie d’y répondre, ne nous regarde pas en fait : elle touche trop à l’intimité des personnes.

      • Merci, Hervé, pour cette réponse.
        A partir du moment où l’on donne sa vie en témoignage… ce genre de question n’est plus tout à fait de l’intime.
        Et la question en nous ne peut que rester théorique puisque nous ne sommes pas, sauf certains, dans cette situation.
        Seulement, voilà, prendre sciemment le risque de faire naître un enfant handicapé me laisse sans voix. D’accord, né malade, mourant jeune ou restant handicapé, ils l’auraient aimé, choyé, accompagné mais, même si tout enfant est voué à mourir tôt ou tard, même si personne n’échappe à la souffrance, jouer à la roulette russe avec un enfant à naître, non, je ne peux pas trouver cela juste. Cela ne sonne vraiment pas juste.
        Tu dis qu’ils ont peut-être voulu donner encore une chance à la vie. L’enfant n’est pas un faire-valoir. Il est à accueillir tel qu’il est, beau ou pas beau, avec un grand potentiel ou un petit potentiel. Ce que sera l’enfant est le plus souvent inconnu au moment de sa conception. Et doit-on se servir de l’enfant à naître pour se prouver que l’on peut aussi avoir des enfants sains ?
        Si je poursuis un peu c’est parce que mon questionnement peut rejoindre celui d’autres lecteurs.
        Tu connais aussi mon amitié avec une personne qui a deux soeurs atteintes de la même maladie, tous les trois nés avant que leur mal apparaisse. Tu imagines bien que depuis plus de trente ans, ces questions-là, celle de l’accompagnement au long cours, de la légitimité de choix, etc. me travaillent.
        Pour finir : tant mieux que les livres fassent du bien et aident d’autres personnes dans leur propre chemin. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux.

  7. Merci Hervé pour ce partage
    Témoignage émouvant que celui d’Anne Dauphine J… Oser l’Espérance malgré tout , jeter encore ses filets au large … Répondre à l’appel de la Vie … J’ai apprécié ces bouquins autant que toi !

  8. Merci fr Hervé pour ce commentaire.
    je me permets de vous signaler un autre témoignage, exceptionnel lui aussi et que vous connaissez sans doute ; celui de Cécile Collin Paris dans son livre « Orphelins d’un enfant » où elle relate la fin de vie de son fils, frère Vincent, dominicain décédé à 30 ans à Lille en 2007.C’est un témoignage spirituel admirable, d’une très grande force. Je ne sais si Madame Paris l’exprimerait ainsi, c’est en tout cas ce que j’ai retenu de leur immense douleur familiale « une porte s’est fermée, une autre a réellement pu s’ouvrir » grâce à leur fils frère Vincent qui les a aidés à cheminer pendant ses dernières semaines de vie et grâce aux frères du couvent de Lille qui ont continué à les soutenir dans l’après…..période qui n’est pas facile non plus.
    Tout ce que nous pouvons faire pour aider ne serait-ce qu’un tout petit peu ceux qui doivent vivre avec une grande souffrance est important; cela fait partie de notre mission de baptisés.

    • Cécile et Benoît Paris passent régulièrement à Lille, en particulier au moment des fêtes de la Toussaint : ils sont donc bien connus de notre communauté et toujours soutenus.

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