A la mémoire de David

Le David dont je vous parle n’est pas le célèbre roi de la Bible, il n’a fait que recevoir de lui son prénom. « Le mien » n’était pas roi, il ne sera pas célèbre, il n’avait que quatre ans, et il ne grandira plus sur notre terre : il est mort il y a huit jours dans un incendie. Il était Rom, et il vivait dans un camp situé entre deux bretelles autoroutières, tout près de chez nous. Et je ne l’ai pas vraiment connu, alors même qu’avec son frère et sa mère, il « faisait souvent la sortie de la messe » en semaine ou le dimanche chez nous. Il faisait partie de ces centaines de gens que l’on croise chaque jour, que l’on ne voit pas ou ne veut pas voir. Et peut-être lui moins qu’un autre… parce qu’il n’avait que quatre ans, qu’il était Rom et tendait la main !

Aujourd’hui, il est présent au moins dans ma pensée. Sans doute parce que nous avons évoqué son souvenir ce matin au cours de la messe, en présence de ses parents et de son frère discrètement assis près d’un pilier, et que peu de fidèles ont remarqués ; sans doute aussi parce qu’il sera enterré mardi prochain dans notre église. Mais surtout parce qu’avec un autre frère dominicain, je constate combien ce décès et la douleur des parents sont exploités de manière éhontée, par des personnes de tous bords qui n’ont en vue que leur propre intérêt, et qui demain auront oublié quand la famille portera elle ce deuil toute sa vie.

A preuve ce défilé, qualifié de « marche blanche », et dont rend compte le journal local, avec des photos. On y voit les parents contraints de marcher en tête, derrière une banderole sur laquelle on avait écrit : « David, mort d’inexister ». On comprend bien sûr ce que cette banderole voulait évoquer, la mise à l’écart des Roms, les contraintes qui leur sont infligées, mais la formulation était atroce, tant pour David que pour ses parents : parce que David a eu une existence courtes certes, mais qui a compté ! En particulier pour sa famille.

solitude

Chacun sait combien il est difficile de trouver les mots et les gestes justes pour accompagner ceux qui traversent une grande détresse : peur d’en dire ou d’en faire trop ou pas assez, peur du silence, de l’attente, et finalement d’un vide que nous craignons d’instaurer et dont on pense qu’il pourrait se révéler insurmontable. La tentation est donc forte pour chacun de nous de « meubler » la distance, de remplir ce vide, alors même qu’il est nécessaire à ceux qui souffrent pour pouvoir y déverser leur peine : à vouloir le combler trop vite à partir de nos propres attentes, c’est notre détresse que nous tentons de soigner, non pas celle des souffrants. Eux ont besoin de temps, d’espace. Il ne s’agit pas d’être loin bien sûr, il faut savoir rester « à portée », mais sans peser, sans nous projeter nous-mêmes, avec un infini respect.

Je me souviendrai toujours de cette personne pleurant à côté de moi au cours d’une prière collective, et pour laquelle je cherchais alors désespérément les mots consolateurs, sans parvenir à en trouver un seul. Désemparé, je me suis donc tu, en me contentant de rester là. Quelques jours plus tard, j’ai retrouvé la personne en question, qui m’a remercié de mon silence dans la présence.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.