Eau jaillissante

A propos d’ Ex 17 et de l’évangile de la Samaritaine, en Jn 4

Mes sœurs, chers amis, pour avoir vécu plusieurs années en Terre Sainte, je sais que l’eau y est un enjeu crucial, un bien commun de plus en plus rare et très injustement partagé. Un ami travaillant à l’agence du bassin de Midi-Pyrénées me disait un jour : les guerres d’aujourd’hui sont souvent déjà, ou seront de plus en plus, des guerres de l’eau. Je l’ai vu au Moyen-Orient, et, pas plus tard que mardi dernier, je lisais une dépêche parlant de la guerre de l’eau au Kenya, dans la vallée du Rift…

cruche d'eauIl faut donc partager l’eau. Mais me direz-vous, là n’est pas le sujet puisque l’évangile de la Samaritaine s’intéresse moins à cette eau que l’on trouve dans un puits qu’à celle, toute spirituelle, que propose Jésus. C’est cette eau-là qu’elle a voulu partager, et elle n’a pas hésité pour cela à laisser sa cruche au puits pour retourner à son village annoncer la bonne nouvelle de celui qui lui a dit tout ce qu’elle avait fait et qui serait peut-être le Christ ? Oui, c’est vrai, la soif physique et la soif spirituelle sont deux choses différentes, mais elles entretiennent pourtant un vrai rapport.

En premier lieu, faut-il le rappeler, parce que celui qui a vraiment soif, comme celui qui a vraiment faim, n’aura de cesse de satisfaire sa soif et sa faim, avant de pouvoir écouter de pieuses paroles sur la soif spirituelle : si la Samaritaine a pu écouter Jésus, et si Jésus a pu l’entretenir longuement de la soif spirituelle, alors qu’il faisait très chaud, c’est parce qu’elle ne souffrait pas d’une soif physique. Mais l’on peut penser que Jésus aurait eu à son égard une attitude et un discours bien différents si cette Samaritaine l’avait rejoint en mourant de soif. Il serait indécent d’aller tenir des discours pieux à des gens en manque physique, et Dieu sait qu’il y en a aujourd’hui, sans chercher les moyens de les accueillir, de les vêtir, de les désaltérer, de les nourrir : l’économie du partage, un des enjeux du Carême, est aussi un des éléments de la recherche du bien commun.

Et tel est précisément le deuxième lien entre soif physique et soif spirituelle, à savoir que, pour l’une comme pour l’autre, l’économie du partage doit se traduire dans les faits. Si nous avons de l’eau en abondance, quelle que soit sa nature, physique ou spirituelle, ce n’est pas pour notre seule satisfaction personnelle, c’est pour en faire profiter ceux qui en ont besoin : comme le fait la Samaritaine sur la fin de notre évangile. Venez voir, dit-elle à ses amis, et plus encore, venez boire de cette eau vive !

Cette exigence du partage prend un accent particulier en Carême, elle doit le rester dans le temps ordinaire. Un tel partage n’est jamais facile, pour une raison très banale : l’homme est un être fini, qui a toujours peur de manquer ; et ce qui est donné aux autres lui paraîtra toujours renforcer ce manque. C’est vrai au plan matériel, c’est vrai aussi au plan spirituel. Mais là où l’homme se trompe, c’est en pensant qu’il doit donc garder pour lui ce qu’il a et en faire des réserves : ce qui est gardé de la sorte pourrit ou s’épuise beaucoup plus vite que l’on ne pense. En réalité, comme me le confiait un jour une amie en des termes très simples, si tu veux que tes mains se remplissent, il faut d’abord qu’elles soient vides.

Mais qui peut donc les remplir régulièrement, et de manière durable, sinon notre Seigneur ? Jésus vient de nous parler d’une « eau jaillissant en vie éternelle » : non pas d’un lac plus ou moins statique, mais d’un jaillissement et donc d’un renouvellement constant. Comment ne pas penser à cette mesure secouée, tassée, débordante, dont il est question ailleurs dans l’évangile ? Et dont nous avons un exemple dans l’Ancien Testament avec cette veuve de Sarepta qui offre au prophète Elie ce qui lui reste de sa jarre de farine et de sa cruche d’huile : jarre et cruche se remplissent au moment même où elles se vident, dans le partage.

Telle est la caractéristique du don de Dieu, il ne s’épuise jamais, parce que Dieu lui-même jamais ne s’épuise. Nous sommes donc invités au partage au risque de n’avoir plus rien pour nous : n’ayons pas peur, faisons confiance au Seigneur pour que nos jarres, nos cruches et nos mains se remplissent au fur et à mesure qu’elles se videront.

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