Le vide sidéral de la pensée

Urne videTout le monde l’a constaté et s’en plaint : la campagne électorale française atteint un niveau jamais atteint… de vide ! Les insinuations, les procès, les agressions verbales ont presque totalement remplacé les débats : on en veut aux candidats, on en veut aux médias, mais je crois que la responsabilité incombe aussi à chacun de nous. Ce qui se passe en effet sur la scène publique n’est que le reflet de ce qui se passe un étage plus bas, dans les courriers des lecteurs, dans les échanges quotidiens où l’on ne fait que rapporter, dans l’urgence et sans aucune distance critique ni rigueur, des propos que l’on vient de lire ou d’entendre : la fameuse désinformation touche tout le monde…

Avant de parler, me disait mon père, « tourne sept fois ta langue dans ta bouche ». Vieux conseil qui garde toute son actualité, mais qu’il faut sans doute préciser : le sujet sur lequel tu veux intervenir en vaut-il la peine ? As-tu vraiment quelque chose à dire qui puisse faire avancer le débat ?  Ce qui me frappe dans le débat politique actuel, ou plutôt son absence que tout un chacun dénonce, c’est que le vrai sujet est esquivé : je ne parle pas ici des méthodes et moyens économiques ou politiques, mais plus fondamentalement du sens de notre société et de notre vie ! En d’autres termes, que voulons-nous ? Pour nous, pour nos familles, pour nos sociétés, pour notre pays ? Bien sûr, le sujet est immensément large, mais en fait, c’est lui et lui seul qui nous préoccupe, bien plus que le taux de TVA ou le nombre de fonctionnaires à remplacer dans les cinq années qui viennent.

Il y a un domaine où se manifeste très bien ce changement de perspective, et cette radicale nécessité de repenser les choses à partir des racines et non en aménageant tant bien que mal les superstructures, c’est l’Europe  : elle est malade de ses réglementations abusives, de ses effectifs pléthoriques, ou que sais-je encore, mais elle l’est surtout de la perte de sens ; les pères fondateurs l’ont voulue dans un certain contexte, lequel a complètement changé, et personne n’ose ou n’a les moyens de la repenser…. Du coup, comment s’étonner que certains proposent, à tort à mon humble avis, de jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Non, personne n’ose parler des vrais sujets, mais il faut sans doute y voir le signe que nul ne sait vraiment ce qu’ils sont, comment les aborder, et n’a de solutions à proposer : ce pourrait être une chance, l’occasion d’une vraie réflexion, mais hélas ! le vide est bien présent là aussi. A quelques exceptions près, les protagonistes n’ont ni la compétence ni la « carrure » suffisantes pour se situer au niveau souhaité. Alors, l’esquive ou le flou sont de rigueur : la pensée va et vient au fil des attentes supposées des uns et des autres, en restant à la surface des choses, on va de l’avant sans avoir aucune idée de la route à suivre. La pensée politique, mais plus encore la pensée philosophique et la pensée spirituelle sont au mieux congédiées, au pire totalement absentes des échanges et débats, et chacun de flotter au fil du courant sans aucun gouvernail…

D’une certaine manière, ce vide est une chance pour l’Eglise, et pour l’évangile, et je ne m’étonne pas que le pape François soit l’un des rares dont la parole soit écoutée, y compris lorsqu’il parle de sujets apparemment aussi peu « ecclésiaux » que l’écologie ou l’Europe : car lui a compris à quel niveau se situe le désenchantement, et c’est à ce niveau-là qu’il se place. Lui a les moyens de le faire, en rappelant le sens plus qu’en apportant des réponses qui appartiennent à d’autres. Dire qu’il est entendu et suivi, c’est autre chose, tant la superficialité et le zapping, déjà dénoncé sur ce blog, reprennent vite la main !

Au temps de l’Os à moelle, Pierre Dac écrivait : « Parler pour ne rien dire ou ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs de ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir ». Quel dommage que cette pensée, que son auteur qualifiait il est vrai de loufoque, soit oubliée !

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