Misère spirituelle de l’hôpital

Il y a quelques mois, en pleine tourmente électorale, Sabrina, une interne en médecine travaillant aux urgences, a connu une remarquable notoriété sur les réseaux sociaux en publiant des vidéos provocantes mettant en cause la misère de notre service hospitalier, faute de moyens financiers et humains. Elle avait été largement précédée sur les mêmes espaces par nombre d’infirmières ou de médecins, preuve que la difficulté ne date pas d’hier. Aujourd’hui, environ six mois plus tard, avec la disette financière que connaît notre pays de France (toute relative, je sais, par rapport à certains pays où j’ai vécu), je doute que le problème ait reçu une quelconque solution… Mais la misère financière ou technique est une chose, la misère spirituelle en est une autre, plus grave encore, qui n’a absolument pas été abordée par notre interne !

Voilà près d’un an que j’assure, comme prêtre référent mais non pas comme aumônier officiel, une présence dans un hôpital psychiatrique de Montpellier. Comme beaucoup d’autres hôpitaux du même type, la structure est très ancienne (1906), et je ne peux que me réjouir de constater, entre autres choses, que nombre de pavillons neufs, clairs, modernes, avec air conditionné, ont été créés ; je note aussi les efforts faits pour réduire la durée d’hospitalisation dont on me dit qu’elle est passée en 25 ans de 198 jours à 30 jours en moyenne ; et je sais que bien des patients bénéficient d’une hospitalisation de jour ; je note enfin le dynamisme de l’équipe d’animation de « l’espace culturel »… 

Misère spirituelle de l'hôpitalMais tout ceci ne dit rien des personnes que l’on rencontre là, et de leur situation : en les interrogeant, vous apprenez très vite que nombre d’entre elles ont déjà fait plusieurs allers et retours. Oui, elles ne restent peut-être qu’un mois, mais c’est très souvent pour revenir quelques semaines ou quelques mois plus tard… S’il est vrai que des activités leur sont proposées, du moins au cours de l’année mais pas pendant l’été, cela reste très marginal et ne touche qu’une partie des patients, difficilement ceux des secteurs fermés. Tous donc traînent leur solitude et leur ennui, et ne trouvent guère d’autres occupations que manger, boire, fumer : l’obésité, accentuée sans doute par les médicaments, est vraiment reine, et les mégots poussent plus vite sur le sol que les mauvaises herbes.

Plein de compassion et d’ardeur, vous vous dîtes alors que, pour les plus jeunes en particulier qui, pour reprendre les termes de Julia Kristeva, souffrent comme toute la jeunesse actuelle d’un syndrome d’idéalité, un soutien spirituel mesuré et patient, qui n’a rien d’un prosélytisme mais qui serait une réponse à leurs questions, va les aider à relever la tête. Et là, amère désillusion, qui ne vient ni de vous, ni des jeunes en question, mais de nombreuses administrations ou même des services infirmiers locaux :

  1. Ce soutien spirituel est largement vu comme une brèche dans la sphère de la laïcité, et comme un risque de faire entrer le loup islamique dans la bergerie.
  2. Il serait en outre susceptible, compte tenu des patients auxquels il serait prodigué, de susciter de graves « délires mystiques ».

On en oublie dès lors que la dimension spirituelle est une caractéristique fondamentale de tout être humain, et, sans contester d’éventuels risques, qu’elle est peut-être encore plus présente lors d’un séjour en psychiatrie, où elle devrait à l’évidence être honorée. Bien plus, cette dimension est souvent, précisément dans ce monde-là où l’on perd tous ses repères, une ancre susceptible de stabiliser l’humeur.

Les patients, engoncés dans leur misère, attendent tellement de vous que vous continuez à manifester ardeur et compassion, mais la question ne cesse de vous tarauder au plus profond de vous-mêmes : « A quoi bon tout cela si rien ne change autour des malades ? Et surtout si l’on refuse de prendre en compte leur attente spirituelle… »

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