La culture ou la guerre

Les images se succèdent sur nos écrans de télévision ou d’ordinateurs, toutes désolantes : je veux parler des vidéos montrant des témoins ancestraux d’une culture, des statues, des églises et souvent aussi des mosquées, détruites par Daech en Syrie ou en Irak, et dans lesquelles reviennent des familles accablées, traçant leur chemin dans des ruines noircies. Et l’on se dit bien sûr : « quelle sauvagerie a pu pousser ces hommes à de telles destructions ? » La même question s’était déjà posée pour les Bouddhas de Bâmiyân, et continuera de se poser pour bien d’autres destructions de monuments appartenant à d’autres confessions religieuses. Les chrétiens ont quand même l’impression que celles qui touchent les églises ont une allure très volontaire, radicale et totalitaire, difficilement « égalable ». 

Devant une telle volonté destructrice, les sentiments sont mélangés : colère, désarroi, honte, violence, ressentiment… Faut-il s’y laisser aller ? Certainement pas : il faut surtout se rendre compte que cette sauvagerie est pour une large part la contrepartie d’une culture inexistante, dans laquelle l’histoire, et spécialement l’histoire religieuse, ou la connaissance esthétique n’ont aucune part. Aucune contre-violence ne les feront naître ou renaître, au contraire, il faut choisir résolument l’éducation, et sa dimension essentielle l’instruction, religieuse, historique, artistique, même si tout cela demande du temps, beaucoup plus de temps. 

culture gauloiseLa force du christianisme se trouve largement, me semble-t-il, dans son enracinement historique, qui ne fait fi de rien de ce qui l’a précédé. La culture chrétienne prend en compte la culture juive, elle se propose comme un accomplissement, non pas comme une nouveauté radicale qui mettrait de côté le passé et même tenterait de le détruire. Avec elle, en France par exemple, on ne remonte pas seulement à 1515 (Marignan), 1214 (Bouvines), ou à nos ancêtres les Gaulois, mais bien plus haut, jusqu’à Abraham (Mt 1) et même jusqu’à Adam (Lc 3,23-38) : bien sûr, les généalogies proposées dans les textes bibliques ne font pas autorité, mais elles sont significatives de la volonté dont je parle d’insérer toute naissance, toute nouveauté, dans une histoire antérieure, qui exhausse celle-ci au-delà ses faiblesses ou ses manques.

Ces jeunes dont on nous rebat sans cesse les oreilles, mais il y a aussi « des vieux » avec eux, sont à l’évidence orphelins d’une histoire de leur pays d’origine, ou de celui qu’ils ont rejoint, souvent aussi de leur histoire familiale : je pense ici au merveilleux livre récemment paru d’Alice Zeniter, L’art de perdre, où l’auteur part à la recherche d’une histoire algérienne, mais aussi française, dont personne ne voulait lui parler. Dès lors, ces « jeunes »  n’ont rien à perdre, ni rien à gagner, ils sont les proies flottantes d’un monde qui les broie ou qu’ils cherchent, à l’inverse, à broyer, comme pour exister… La guerre à défaut de la culture !

Il y a de nombreuses années, je fus amené à discuter avec un mien cousin qui travaillait pour ATD-Quart Monde, et montait au sein de cette association des spectacles. L’un d’entre eux se passait dans le XIIIe arrondissement de Paris, et proposait à des acteurs locaux ou aux spectateurs, souvent nouvellement arrivés et déracinés, de s’approprier l’histoire de ce quartier : on ne tague ni ne détruit une histoire dans laquelle on est soi-même impliqué !

2 commentaires à propos de “La culture ou la guerre”

  1. Merci Hervé pour ces réflexions.
    « l’art de perdre » montre bien la difficulté d’ être porteur et témoin d’une histoire qui a pu être douloureuse.
    D’une façon générale, la transmission à nos jeunes n’est pas simple : l’écoute et l’ouverture de leur part ne sont pas forcément acquises car- et sans doute avons nous été ainsi dans notre jeunesse- ont ils l’impression de découvrir et réinventer le monde .
    Comment indiquer les repères alors que notre environnement ( cf refus de faire allusion aux racines judéo chrétienne de l’Europe dans son nouveau texte fondateur ) n’est pas toujours favorable?
    Jacqueline

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