Fascination ou détestation, modeste regard sur l’antijudaïsme

A la mémoire de Josy Eisenberg (12/12/1933 – 8/12/2017)

Ce jeudi 14 décembre 2017, M. Gérard Rabinovitch, philosophe, membre du CNRS, est venu nous parler de l’humour juif  dans le cadre du centre Lacordaire : il en a brillamment marqué les caractéristiques et l’origine. Au début de son exposé, il a rappelé à son auditoire, à travers plusieurs citations, que l’antijudaïsme d’Hitler s’était souvent exprimé en s’en prenant explicitement à cet humour dérangeant et au rire qui l’accompagnait. Ces propos m’ont réinterrogé sur ce que je suggérais à M. Rabinovitch un peu avant la conférence : l’antijudaïsme ne serait-il pas, au moins pour une part, sans doute ni la seule ni la plus importante, une forme de fascination retournée et dévoyée ?

L’Ancien Testament en est le témoin, l’instruction représente une dimension fondamentale du judaïsme, en rapport avec la parole de Dieu qu’il porte, dont il doit être le témoin et le « transmetteur ». Quelles que soient les strates du texte, on retrouve cet accent marqué pour l’instruction et le savoir : « Le Seigneur dit à Moïse : « Monte vers moi sur la montagne et demeure là, que je te donne les tables de pierre — la loi et le commandement — que j’ai écrites pour leur instruction » (Ex 24,12) ; « La folie est ancrée au cœur du jeune homme, le fouet de l’instruction l’en délivre » (Pr 24,12) ; « Un Dieu plein de savoir, voilà le Seigneur » (1 S 2,3) ;  » Donne-moi donc à présent sagesse et savoir pour agir en chef à la tête de ce peuple » (2 Ch 1,10) ; « Le Seigneur, lui qui enseigne le savoir » (Ps 94,10) etc. On sait que cette instruction représente d’ailleurs aujourd’hui encore le socle principal et austère de la formation de ces Juifs pieux qu’on appelle des Haredim ou « Craignant-Dieu ».

Josy EisenbergCette dimension explique en partie pourquoi un certain nombre de païens, dont ceux que les auteurs bibliques appellent justement aussi des « craignant-Dieu » (Ac 10 ; 13,16.26 ; 17,4 ; 18,4), sont fascinés par judaïsme et cherchent à s’en rapprocher. Si l’exemple le plus célèbre est celui du centurion Corneille (Ac 10), très proche d’un autre centurion dont il est question dans l’évangile de Luc (7,1-10), on décèle aussi quelque chose d’une même fascination chez le fameux Pilate lors de l’interrogatoire de Jésus qu’il cherche à relâcher (Lc 23,16-20). Cette fascination n’a rien d’une histoire ancienne : je pense à tous ceux qui suivent l’émission juive du dimanche matin sur France 2,  « La source de vie », autrefois « A bible ouverte », popularisée par le regretté Josy Eisenberg. 

Comme n’importe quel psychologue, même à la petite semaine, le sait, comme les amoureux en font souvent aussi l’expérience, une qualité donnée peut facilement engendrer chez les individus son contraire, souvent radical dans son expression : c’est ainsi que l’amour laisse place à la haine, la fascination à la détestation. Voilà pourquoi je me demande, peut-être naïvement, si l’antijudaïsme n’est pas le manteau puant qui recouvre parfois, ou souvent, une fascination pour le monde juif, pour la tradition qu’il porte, pour les hommes et les femmes qui participent de ce monde. 

En d’autres termes, la caricature du judaïsme, que certains proposent et dont ils se font hélas ! les propagandistes, ne serait-elle pas elle-même dans un certain nombre de cas… une caricature de leurs propres sentiments ?

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