La nature pourrait-elle disparaître « corps » et bien ?

Nature ? Oui, j’y viens… Le décor est celui des « rencontres Pétrarque », qui se tiennent chaque année à Montpellier sous l’égide de Radio France et du journal Le Monde. Table ronde ce jeudi 12 juillet sur le thème : « Hommes et femmes, des lendemains qui changent ». Invités : Irène Théry, sociologue, Clémentine Autain, députée France Insoumise, et Gaultier Bès, professeur de lettres, co-fondateur et animateur de la revue Limite. Sujets incontournables : bioéthique, PMA, GPA…

Je suis venu rejoindre Gaultier Bès, que je ne connaissais jusqu’alors qu' »en ligne », et que je devais rencontrer ensuite. Je suis d’emblée frappé par le fait qu’il est le seul homme face  deux femmes, et qu’il est en outre « le catho de service » : c’est d’ailleurs à cela qu’Irène Théry va tenter, en vain, de le réduire. Gaultier, en effet, se défend fort bien, mais il est aussi un représentant de « l’écologie intégrale », qu’il prend soin de distinguer de « l’écologie humaine » parce que cette dernière néglige toutes les interactions humaines et spirituelles de l’être humain avec son environnement. Cette dimension écologique le sauve de certaines attaques : nos deux femmes ne peuvent être elles aussi, conformément à la doxa contemporaine, que favorables à l’écologie…

Le débat a permis de trouver plusieurs points de convergence inattendue entre Clémentine Autain et Gaultier Bès, par exemple sur la GPA et sa marchandisation inévitable. Mais il n’a pas apporté, à mon avis, d’élément nouveau, sauf sur ce fameux point de la nature dont nos deux femmes voudraient acter la disparition. Particulièrement Irène Théry, très sensible du fait de son travail à la diversité et à la particularité des situations humaines.

Nature originelleIl existe pourtant un donné humain et environnemental de base, à savoir la nature. Cette conviction est essentielle au chrétien pour qui le « surnaturel », comme son nom l’indique et comme la théologie le rappelle, ne détruit pas la nature, mais la suppose et la complète. Pour nos deux intervenantes au contraire, cette nature entraîne des contraintes inacceptables, qui réduisent en particulier les potentialités des femmes, et il faut la dépasser, voire la nier (1) : nous retrouvons ici la thématique de l’homme prométhéen que j’ai plusieurs fois développée sur ce blog (2).

Nature et corps font bon ménage. La raison en est simple : quoi de plus donné au départ, quoi de plus « naturel » a priori que le corps ? On ne s’étonnera donc pas que l’emprise technique veuille aujourd’hui « augmenter » le corps, ou que l’intelligence « artificielle » (un adjectif qui dit tout !) prétende suppléer la nature, voire se substituer à elle. Pour dénaturer le corps, l’affaire est simple : on en fait une « chose » (3), un élément de la culture, que l’on cherche à modeler selon les désirs des uns et des autres, dont on cache les géniteurs qui risqueraient trop de rappeler sa dimension naturelle etc. Et l’on tente d’écarter de toutes vue et vie humaines les corps vieillis, les corps handicapés, les corps blessés, tous ces corps qui rappellent la finitude humaine avec ses contraintes. L’eugénisme plonge largement ses racines dans le refus d’une nature humaine commune !

Gaultier Bès me confiait que, de son point de vue, au-delà de la PMA ou de la GPA, questions certes importantes, le problème majeur et sans doute premier auquel est confrontée notre société occidentale est celui de l’écologie dans son sens large : laquelle ne touche pas seulement la raréfaction des ressources, mais aussi les relations humaines, la manière de dépenser, l’avenir de notre « maison commune » etc. Je le rejoins, mais je crois qu’un tel questionnement ne pourra se faire, et surtout être partagé, que sur la base d’une reconnaissance commune, celle  d’une nature, d’un donné de base que l’homme n’a pas créé, mais qu’il reçoit et doit gérer : il faut relire les trois premiers chapitres du livre de la Genèse qui sont très clairs sur ce point.

 

(1) Dans un débat télévisé récent, qui a fait réagir les internautes, l’un des participants, un homme blanc a pu affirmer sans rire qu’il n’était ni homme ni blanc ! Sur ce dernier point toutefois, j’accorde que la blancheur de l’homme blanc est discutable parce qu’elle est plutôt rosée (cf. si mes souvenirs sont bons, S/Z, de Roland Barthes).

(2) Cf. par exemple ce post, qui renvoie à d’autres.

(3) A la suite de son épouse Marianne Durano, dans son remarquable ouvrage « Mon corps ne vous appartient pas », Gaultier Bès rappelle au cours du débat que la fameuse revendication « mon corps m’appartient », prétendument traduite de l’anglais, est un contresens. La phrase originale est « Our body, ourselves », autrement dit « mon corps, c’est moi », et cela veut dire tout autre chose que « mon corps m’appartient » qui contribue à chosifier le corps.

2 commentaires à propos de “La nature pourrait-elle disparaître « corps » et bien ?”

  1. J ‘ai écouté France Culture hier soir.
    Irène Thery souhaite apporter une solution à chaque situation douloureuse. Sa « compassion » (dont elle signale à plusieurs reprises avoir l’exclusivité. Ah bon ?) lui permet ainsi de s’affranchir de tout doute…. C’est pourtant la toute puissance.
    Clémentine Autain même si elle s’en défend rejoint souvent Gautier Bès, notamment sur le droit de l’enfant et la GPA.
    Sont abordés la double signification du mot progrès :une épidémie qui progresse est elle un progrès ? comment formuler une question pour obtenir la réponse souhaitée de l opinion ?
    Gautier Bès sort de la place toute désignée du catho de service et de sa supposée ringardise.
    Effectivement aucune place n’est accordée par les 2 intervenantes à la nature …

    • Merci, Brigitte, pour ce commentaire qui rejoint et complète celui que j’ai pu faire sur place.
      J’ai interrogé Gaultier à la fin de la table ronde sur ses convergences étonnantes avec Clémentine Autain, et son commentaire fut : « oui, bien sûr, mais elle ne le reconnaîtra jamais ». Pour elle en effet, comme pour beaucoup d’autres, le catho est un repoussoir bien utile qui permet d’éviter tout un tas de questions…

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