Niveaux de vie

Le titre de cet article constitue un jeu de mots et ne correspond pas à ce que l’on entend habituellement sous l’expression « niveaux de vie » : il ne s’agit pas d’informer mes lecteurs sur les niveaux de vie des Dominicains, mais de leur expliquer que nos vies se déroulent à deux niveaux, terrestre et spirituel, qui pourtant n’en font qu’un… 

Apocalypse, deux niveaux de vie

Pour me justifier, je propose un détour par l’évocation d’un livre que je viens de terminer, Père Elijah (Editions Salvator, 4e edition 2013), de Michael D. O’Brien. L’auteur, d’origine canadienne, à la fois romancier et artiste, encore très peu connu en France, signait avec ce livre paru initialement en 1996 un best-seller et le début d’une série à succès intitulée « Les enfants des derniers jours« . Je ne vais pas vous raconter l’histoire, souvent décrite, de ce « thriller religieux », mais vous dire en quoi il m’a particulièrement touché.

Je ne suis pas a priori très fan du genre littéraire affiché, et moins encore du genre science-fiction dont je craignais que ce livre ne se rapproche. Mais il ne s’agit pas du tout de cela : l’auteur nous livre, à travers une histoire romancée, toute une fresque très actualisée (on devine sous les traits de certains personnages les figures du pape Jean-Paul II ou de celui qui était alors cardinal, Joseph Ratzinger) de la vie de l’Eglise. Si bien qu’il ne s’agit pas d’un traité futuriste, mais d’une lecture du livre de l’Apocalypse de Jean comme concernant notre époque, pas très différente en 2018 de l’année 1996 : deux niveaux de vie donc s’entremêlent et s’imbriquent, celui de la vie spirituelle de l’Eglise et celui de sa vie actuelle. Avec force citations, non seulement de l’Apocalypse, mais encore d’autres livres bibliques ou d’auteurs spirituels qui contribuent à actualiser plus encore le propos.

Cette vie à deux niveaux correspond de fait à la structure traditionnelle du genre apocalyptique, au moins dans l’Ecriture sainte : plan humain et plan divin. Mais elle prépare aussi la perception de plus en plus forte que je peux avoir de la vie chrétienne : pour moi, il n’y a qu’une vie chrétienne, celle de la terre que nous menons au quotidien, qui est en même temps celle du ciel, que nous repoussons traditionnellement et trop facilement dans un autre espace et dans un autre temps. Les deux n’en font qu’une et j’aime, de plus en plus souvent, citer cette parole de la préface eucharistique n°6 des dimanches à l’appui de mes dires : « Dans cette existence de chaque jour que nous recevons de ta grâce, la vie éternelle est déjà commencée ».

Dès lors, la vie éternelle n’est pas pour un après indéfini, elle se joue maintenant, dès le début de notre existence, dans notre vie chaque jour, du seul fait que nous sommes créés « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Elle donne un poids particulier à chacun des moments de cette vie : l’exercice de la charité, au sens le plus noble du terme, ne consiste pas à accumuler des mérites « dans le ciel », qui nous vaudraient une clémence plus grande au jour du Jugement, ils sont l’expression et le fruit de cette vie du ciel qui se donne sur notre terre en chaque être humain quel qu’il soit. 

Et c’est tout l’intérêt du livre de O’Brien de l’avoir non seulement perçu, mais aussi dit : « dans l’âme de toute personne, il y a une icone de ce qu’il devrait être. Une image de l’Amour y est cachée. Chaque âme est aimée au-delà de l’imaginable. Chaque âme est belle aux yeux de Dieu. Nos péchés et nos fautes, et ceux qui ont été commis contre nous, enfouissent cette image originale » (op. cit., p. 285).

O’Brien ne fait à mon sens qu’une seule erreur, que l’on peut lui pardonner, c’est de considérer quelques lignes plus loin cette image originale comme perdue, ce qui consacrerait l’existence de deux niveaux de vie, alors qu’elle n’est qu’enfouie sous le péché : c’est la force de la foi au Christ et des sacrements que de contribuer à la restaurer dans sa qualité d’origine, et de nous faire ainsi goûter le ciel sur la terre.

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