La valeur inestimable d’une cathédrale

La cathédrale Notre-Dame de Paris en feu, un monument de l’histoire de France gravement atteint par les flammes, qui n’a senti et compris hier soir qu’une partie de lui-même était touchée, comme l’a justement tweeté notre président de la République ? Et cela quelles que soient ses convictions religieuses ou sa nationalité.

Mettons au compte de la détresse, et du désir de s’en affranchir peut-être en lui trouvant une cause immédiate, les propos conspirationnistes qui n’ont pas manqué de fleurir dès que le drame a commencé d’être connu : rien pour l’heure ne les justifie. Il n’est pas sûr que, devant les dégâts, une enquête puisse déterminer un jour de manière claire la ou les causes, la ou les responsabilités. Ce que les gestionnaires de travaux savent tous, c’est qu’une entreprise de restauration, lorsqu’elle est en cours, fragilise un bâtiment : un court-circuit, une flammèche qui couve longtemps, peuvent déclencher à moyen terme des incendies considérables.

Cathédrale Notre-Dame de Paris, sa nef, ses cloches

Symboliquement, la cathédrale Notre-Dame n’est pas tout à fait un monument comme les autres, pas tout à fait une cathédrale parmi d’autres. Son histoire, les trésors qu’elle renferme (trésors religieux, son orgue, ses cloches…), la beauté de sa nef et son équilibre, tous les événements dont elle a été le théâtre ou le témoin et son importance touristique (13 millions de visiteurs par an, nous dit-on), en font un monument à part : ce n’est donc pas tout à fait une surprise de constater que, parmi tous les témoignages émus qui continuent d’affluer, beaucoup viennent de personnes que rien a priori ne rattache à la foi chrétienne.

Pour autant, et singulièrement pour les chrétiens au moment où commence la Semaine sainte, il ne faudrait pas oublier que d’autres cathédrales à différents moments de l’histoire (celle de Reims, rappelait-on), et en d’autres lieux (celle de Port-au-Prince, celle de Sayidat al-Najat, Notre-Dame du Perpétuel secours, en Irak), et d’innombrables monuments religieux chers aux fidèles de telle ou telle religion ont connu, et sans doute connaîtront encore, des sorts identiques à Notre-Dame de Paris, voire pires avec morts ou même assassinats d’être humains. Et la peine des hommes alentour sera souvent aussi forte que celle des Parisiens, et plus largement des admirateurs de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Car la valeur d’une cathédrale, ou d’autres monuments de ce type, ce n’est pas seulement sa valeur patrimoniale en termes d’histoire ou d’architecture, c’est la place qu’elle tient mystérieusement au cœur des hommes. Une place qui se révèle brutalement, y compris chez ceux qui n’ont jamais fait que passer à côté d’elle sans trop s’en préoccuper, lorsque sa fragilité la met à mal. Chacun découvre que cette fragilité est un peu la sienne, que ce monument habite profondément quelque part dans sa culture, dans sa propre histoire, dans son cœur.

Beaucoup l’ont fait remarquer, un exemple s’en trouve chez Victor Hugo qui, dans sa description de Notre-Dame de Paris, ouvrage publié en 1831, a eu ces phrases comme prémonitoires :

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure ».

Oui, c’est probable ou même sûr, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame de Paris. Parce que nous en aurons les moyens. Mais n’oublions jamais que d’autres cathédrales, d’autres lieux saints, plus distants, moins connus, moins chargés d’histoire peut-être, et qu’aucun nouvel Hugo ne décrira jamais, brûlent et disparaissent chaque jour ou presque, inexorablement et définitivement, au moment même où j’écris. Parfois, trop souvent, avec leurs fidèles…

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