Malaise sur le cas Vincent Lambert

Disons-le d’emblée pour éviter, si possible, tout malentendu : la sédation profonde décidée et mise en œuvre par le corps médical dans le cas de Vincent Lambert crée chez moi un réel et profond malaise. Pour une raison qui me semble évidente et qui tient à mes convictions religieuses : compte tenu des informations en ma possession sur le cas en question, et même si je les sais très parcellaires voire partiales, je ne peux que voir dans cette sédation une forme plus ou moins déguisée d’euthanasie. 

Lutter contre un malaise

Dès lors, je peux comprendre dans un premier temps les réactions de tous ceux qui, le plus souvent animés par des convictions religieuses identiques ou proches des miennes, s’élèvent contre cette sédation. Évêques y compris. Toujours à partir des informations parcellaires, il semble en effet que cette sédation aurait probablement pu être évitée par un changement de lieu d’hospitalisation. Et voilà pourquoi, sur ma page Facebook, j’ai jugé bon de publier un émouvant article d’Elisabeth de Courrèges dans lequel celle-ci évoque le traitement bien différent et plus conforme à mes convictions d’un autre malade, Bernard, aussi profondément atteint que Vincent Lambert.

Cela étant dit, je pâtis profondément d’un autre malaise, quelque peu recouvert par le premier, à savoir l’intrusion dans la vie d’un couple. D’après ce que j’ai pu lire, l’épouse de Vincent Lambert, Rachel, affirmerait que son mari avait évoqué ce qu’il devrait advenir de lui en cas d’accident grave provoquant une réduction importante de ses facultés : il ne souhaitait pas qu’on « le prolonge », pour dire les choses crûment. Il est vrai que ce désir ne s’est exprimé qu’oralement, puisque les directives anticipées n’existaient pas encore il y a dix ans ; il est non moins vrai qu’on peut toujours discuter de la réalité des propos tenus, de la fiabilité de l’épouse dont on dit, avec une pointe de soupçon, qu’elle a refait sa vie, ou encore s’exaspérer d’un refus de transfert qu’on lui attribue… Et je ne sais quoi encore pour discuter et mettre en doute sa position. 

Mais il reste que c’est à mon sens à elle, et elle seule en tant qu’épouse et tutrice, de déterminer ce qui devait et doit encore advenir de son mari.  Surtout qu’elle a reçu, à l’appui de sa position,  le concours de trois collèges de médecins qui se sont succédé pour étudier ce qui était entretemps devenu une affaire. Car, comme le faisait remarquer un commentateur, le « cas Lambert » est devenu « l’affaire Lambert ».

Oui, même si je peux être en désaccord profond avec le ou les choix de Rachel Lambert (1), et je le suis, toujours avec le peu d’informations dont je dispose vraiment et qui semble provenir essentiellement de ses parents, je le redis : c’est à elle, en lien avec l’équipe médicale, de prendre les décisions, et non à la famille de son mari, quelques membres que ce soit ! On oublie trop facilement, en l’accusant a priori indûment, qu’elle souffre profondément elle aussi. On oublie aussi le travail remarquable effectué auprès de Vincent depuis des années par l’équipe médicale chargée de l’accompagnement en soins palliatifs, et qui, elle, n’a pas d’autre choix que le silence.

Je trouve donc l’intrusion médiatique de cette famille dans le couple totalement inacceptable, même si je peux en partager certaines raisons au nom d’une foi commune. Je note que certains couples de mes amis, après avoir traversé de très douloureuses épreuves et connu, grâce à leur foi, une issue relativement heureuse, se sont jetés à billets et pétitions perdus dans le débat médiatique, largement provoqué par les parents. Le plus souvent, ils ont choisi de blâmer l’épouse. Je le regrette : qu’auraient-ils dit, lorsque la question s’est posée pour eux d’un choix à faire pour tel de leurs enfants, si leurs parents proches ou éloignés et l’appareil médiatique s’étaient abattus sur eux pour discuter de ce choix, et le faire à leur place ?

Oui, cette intrusion médiatique double pour moi le malaise, et je ne peux en conscience ne voir le bien que d’un côté et le mal que de l’autre. Et je me refuse à résoudre ce malaise en me jetant à mon tour dans le débat médiatique et en prenant une position tranchée.

P. S. Je ressors tout juste de la vision du film « Lourdes ». Magnifique, et faisant bien voir jusqu’où doit aller le respect de la dignité humaine… Pour autant, je me refuse à condamner Rachel Lambert et le staff médical de l’hôpital où devrait probablement bientôt mourir Vincent ! A mon profond désarroi…

(1) : Deux heures environ après l’écriture de cet article, j’apprends que la Cour d’appel demande la reprise des traitements. Il faut attendre pour connaitre ce qui va en ressortir très pratiquement. On me fera peut-être remarquer que cette décision, plus conforme certes à mon éthique personnelle, procède de l’intervention des parents. Il est vrai, mais elle n’empêche pas le malaise que j’évoque, en particulier le deuxième, relatif à cette intervention.

3 commentaires à propos de “Malaise sur le cas Vincent Lambert”

  1. Ces observations en demi-teinte me conviennent, redonnant à la tutrice de Vincent Lambert, à savoir sa femme, sa place légitime.

    Si la loi de 2016 peut être juridiquement contestée, comme l’estimait Emmanuel Hirsch devant des étudiants à l’Espace éthique-Ile de France, qu’elle le soit donc par des professionnels avisés !

    • Oui mais il faut bien prendre position, au moins en son âme et conscience. car ce cas est tellement emblématique de la fracture à l’oeuvre dans notre société, et qui passe à travers chacun de nous. Quand il s’agit d’une question de vie ou de mort, il faut bien choisir son camp ou bien la vie, ou la mort, a tôt fait de choisir pour vous. Je comprends votre malaise et le partage dans une une certaine mesure (pas exactement pour les mêmes raisons) mais au-delà du juridique, l’argument de l’autorite légitime de l’épouse me paraît bien faible d’un point de vue moral. Il est des cas et des moments où la “vie privée” n’a plus de sens, où l’individu perd sa qualité d’individi Pour devenir l’être qui incarne la collectivité. Le destin de Vincent Lambert échappe à lui-même comme à n’importe qui, à sa femme comme à ses parents, parce qu’en réalité c’est un peu notre destin à tous qui se joue à travers lui. C’est le cas pour tous les héros, qu’ils le soient de leur plein gré ou bien malgré eux.

      • Adrien, pour ce qui est de mon opinion personnelle, je crois l’avoir exprimée dans mon article. Mais je ne l’ai fait que contraint, au vu des doutes et attaques touchant Rachel, l’épouse de Vincent, et, sans trop le dire mais en le disant, le personnel soignant qui entoure Vincent.
        Mais je maintiens que nous n’avons que très peu d’informations réelles sur les tenants et aboutissants de cette affaire, et provenant en outre d’une seule source, les parents. Je l’ai dit et écrit sur FB, je partage totalement l’étonnement de mon amie Claire Fourcade, médecin très connue en soins palliatifs dirigeant un centre à Narbonne, dans son article paru sur Aleteia :
        https://fr.aleteia.org/2019/05/20/vincent-lambert-la-situation-actuelle-est-un-echec/
        Et je repose la question à laquelle personne ne répond : « qui peut accepter que, confronté à un problème familial, d’autres personnes que celles directement concernées, en l’occurrence ici au premier chef l’épouse et le personnel soignant, donc que des personnes extérieures au drame vécu et ne disposant que d’informations partielles et orientées, viennent lui dicter sa conduite ? »

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