Le bûcher des vanités

« Vanité des vanités, tout est vanité » : cet avertissement bien connu est un extrait du livre de Qohélet, et il nous était lu comme première lecture de la messe du 18e dimanche, hier donc. La dimension pessimiste du livre tout entier est elle aussi connue, mais je ne suis pas sûr qu’il faille « en faire des tonnes » : ce ton est aussi celui de nombreuses personnes aujourd’hui, dont votre serviteur, face aux défis du monde et notre tendance à nous mettre la tête dans le sable !

Nous avons eu un été chaud, et tout le monde s’est mis à parler de la sécheresse et à chercher de l’eau partout : changement climatique. Tête dans le sable, vanités ! Il y a plus d’une dizaine d’années, un ami travaillant dans une « agence de l’eau » me disait que les réserves mondiales exploitables à bon marché n’étaient pas inépuisables, et que des « guerres de l’eau » étaient inévitables. Elles existent déjà, mais se cachent sous d’autres noms.

Les experts nous parlent souvent du bilan carbone, et l’on met en cause entre autres les cargos, les avions, les voitures, l’air conditionné en même temps que l’exploitation impitoyable des forêts, telle celle de l’Amazonie. Incontestable ! Mais qui est prêt à revenir à la voiture à cheval ou à l’araire ? Alors, on continue comme si de rien n’était. Tête dans le sable, vanités !

Je m’arrête là sur un bilan mille fois dénoncé par des gens de tous bords, dont certains n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité et se font tancer vertement pour oser donner leur avis : tête dans le sable, vanité des vanités, la réalité est là, à nos portes, qu’on le veuille ou non !

Il faut aller plus loin, dépasser les effets que je viens d’évoquer pour en arriver aux causes, et à celle que je crois des plus fondamentales : l’illusion du « progrès », que nous acceptons sans broncher, façonnés et fascinés comme nous le sommes par l’emprise technique.

A cet égard, le livre « Demeure » de François-Xavier Bellamy, que l’on connaît aujourd’hui comme homme politique, mais qui est aussi et sans doute d’abord un professeur de philosophie, est absolument remarquable. Son livre, loin d’être un manifeste politique, est d’abord et surtout une fine et passionnante analyse des vanités idéologiques que sont le changement et le progrès, et de ce à quoi elles conduisent.

Après une introduction assez développée concernant les philosophes grecs et leur appréciation du « changement », l’auteur examine leur héritage au fil des siècles et particulièrement en notre temps. Il met donc en cause les dogmes du changement et du progrès, incroyables vanités, considérés pourtant comme essentiels, inévitables et continus. Il propose cette remarque, très banale et pourtant si oubliée : un progrès ne peut être considéré comme tel qu’en rapport à une référence déterminée et fixe. Il faut donc en toute occurrence que quelque chose « demeure », ce que la vulgate progressiste ne précise jamais : pour elle, le changement est un progrès en soi !

Et ce n’est certainement pas un hasard si, comme Bellamy s’en fait l’écho, les partis sont devenus des mouvements, et si celui qui tient la barre aujourd’hui se définit comme « en marche », sans que l’on sache vraiment où conduit cette marche, et sur quoi elle repose…

Je pourrais multiplier les citations très éclairantes de cet auteur. En voici deux parmi beaucoup d’autres, extraites de l’édition Kindle :

« Notre technique et notre économie n’ont qu’un but : tendre vers l’immédiateté (…) Habiter le monde, c’est aussi habiter son corps. Il faut accepter de ne pas être partout pour être authentiquement présent au lieu où nous nous trouvons. Il faut accepter de ne pas être tout pour pouvoir être soi-même, et pour retrouver pleinement une vie que l’illusion de l’immédiateté ne peut que finir par rendre liquide » (p. 192.199).

« La modernité, en se définissant comme une passion du mouvement, ne pouvait que se traduire par le triomphe du marché. Il est, par définition, le lieu de la circulation : une époque qui définit la vie comme mouvement devait donc donner un rôle central à cet opérateur de l’universelle circulation, et faire de l’argent son instrument essentiel » (p. 205-206).

Bellamy veut rendre tout leur poids aux « mots », et diminuer celui des « chiffres », toujours contestables et interchangeables. Il appelle donc à retrouver la poésie de la politique. Pour faire face précisément aux défis que j’ai évoqués brièvement au début de ce billet.

Je ne peux que le suivre, mais, comme je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises sur ce blog, je crois qu’il faut aussi entrer dans une optique de décroissance (apparemment, l’anti-progrès), et l’accompagner d’un élan spirituel qui pourra seule la faire accepter. Nous en sommes loin encore !

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