La tentation exemplaire

Adam et Ève ne s’attendaient sans doute pas à bénéficier d’une telle postérité.  Je ne parle pas en terme de descendance charnelle, mais spirituelle : leur tentation a une valeur exemplaire, et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles son récit figure en tête de la Bible. Qu’en est-il en effet de cette tentation ?

Elle peut être vue de plusieurs manières, mais je notais récemment qu’elle consistait à agiter un leurre, une sorte de chiffon rouge, masquant toute une série de conséquences, très dommageables pour eux comme pour leur descendance, charnelle cette fois. Dans le récit, le leurre est connu : « vous serez comme des dieux » (Gn 3,5), alors qu’ils vivaient déjà face à Dieu, dans son Paradis. Autrement dit, vous allez connaître une amélioration sensible de votre condition, alors même qu’ils en possèdent déjà une meilleure.

Et l’une des conséquences immédiates est qu’ils y perdent leur liberté. Ils jouissaient du délice du Paradis, ils en sont « expulsés » (ce qui n’est en fait que la reconnaissance par Dieu de la nouvelle situation), ils se cachent de Dieu (Gn 3,10). Leur vraie liberté consistait à jouir de cette présence divine, ils s’en privent : les biblistes les plus affûtés reconnaissent dans ce processus la tentation qui conduira le « fils prodigue » (Lc 15,1-32) à prendre la tangente vis-à-vis de son père, avant de reconnaître son erreur !

Quittons maintenant la Bible, et considérons ce qui se passe aujourd’hui autour de nous : le processus que je viens de décrire se renouvelle à l’infini. Le modèle de la tentation est sans cesse à l’oeuvre  : dans les achats compulsifs, dans la croyance naïve qu’une technique nouvelle va renouveler notre vie sans aucun effet secondaire. On nous montre l’apparence, on nous cache soigneusement les conséquences. Et alors que nous croyons choisir en toute liberté, nous devenons esclaves de l’apparence et de nos pulsions primaires : Adam et Ève, vous dis-je…

tentation mensongèreJe ne vais pas donner des exemples dans le monde de la publicité, et plus généralement du commerce, ils sont légions. Mais j’ai tout récemment dénoncé cette tentation à l’oeuvre dans un domaine comme celui de la bioéthique. Une tribune récente du Figaro, signée par des personnes directement concernées, dénonce l’usage dérivé évident que provoquerait l’élargissement du diagnostic préimplantatoire à tous les embryons. Le leurre utilisé est évident « une vie meilleure, sans souffrance », la vérité justement dénoncée par les signataires de la tribune est  » un eugénisme 2.0 qui est une violence pour notre humanité : quelle place laissons-nous à nos propres fragilités ? À notre propre vulnérabilité ? ».

Ils rejoignent ce que je ne cesse de dénoncer sur ce blog et dans mes livres les plus récents : l’hybris humaine, une vison prométhéenne de l’homme, largement favorisée par les progrès, et donc les possibilités offertes par la technique. Immense tentation ! Serait-ce un combat perdu d’avance ou au contraire une grande avancée humaine que de vouloir la maîtriser en gardant ainsi toute notre liberté ?

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