Satan n’est pas le Mal, il n’est que… le Tentateur

Combien de lectures du livre de la Genèse ai-je parcourus présentant les chapitres 2-3, tout spécialement le 3 qui met en scène Adam, Ève et le fameux serpent, comme une réflexion sur le Mal ! Rien de plus étonnant quand on sait que le Mal n’est pas évoqué, pas même comme je vais le dire sous la forme du serpent. Non, lorsqu’il est question de « l’arbre du bien et du mal » en 2,17, cela ne dit rien du Mal, et moins encore de son éventuelle présence dans le récit, mais de la connaissance comme discernement ; et plus loin, au chapitre 3 donc, lorsqu’il est question du serpent, présent de fait, il nous est dit au verset 1 qu’il est créé par Dieu : comment alors y voir le Mal, sauf à faire de Dieu le créateur du Mal ?

Adam, Ève, fruit défenduTout au long du récit de Gn 3, ce serpent nous est présenté comme le Tentateur, avec toutes les subtilités de la Tentation, ce qui justifie pleinement la remarque du narrateur pour qui ce serpent était « le plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait faits » (3,1). Très subtile en effet la parole ou commandement de Dieu légèrement transformée, « vous ne mangerez pas de TOUS les arbres du jardin », très subtil encore le fait  de proposer ce travestissement sous forme de question, et non moins subtile encore la promesse « vous serez COMME des dieux » quand Dieu attend que les hommes deviennent Dieu, comme le diront plus tard les pères de l’Église.

Il suffit de réfléchir un moment sur la manière dont les tentations nous assaillent pour réaliser à quel point le mécanisme décrit par le narrateur touche juste : un mécanisme que l’on retrouve à l’œuvre dans les tentations de Jésus au début de sa vie publique, telles du moins que les évoque Mat 4,1-11 et son parallèle Lc 4,1-13, Marc étant beaucoup plus discret. Dans ces tentations, il est vrai qu’il n’y a pas de serpent, mais un diable, qui se pose en adversaire : ce thème de l’adversité se trouve aussi à la racine du terme hébraïque de Satan (2 S 19,23 ; 1 R 5,18 ; Ps 109,6), l’opposant que l’on rencontre déjà au début du livre de Job (1,6). En fait, sous un nom différent, mais par un processus identique, ce diable est encore le Tentateur, et on peut certainement l’assimiler au serpent de la Genèse.

Ainsi, ce n’est donc pas le Mal qui est présent dans nos textes, mais le Tentateur : du Mal, ces textes ne disent en fait rien, et l’on ne sait rien de lui ! Et rien en particulier sur son origine, son mode de présence, ce qu’il « est » : sans doute, diront plus tard les théologiens, parce que précisément, il « n’est » pas, il est… un défaut d’être, une simple buée qui cache la réalité. Il est donc parfaitement vain de vouloir en dire quelque chose, de se poser à son sujet d’éternelles questions qui n’ont point de réponses.

J’ai été vraiment soulagé de découvrir un jour, sous la plume d’Adolphe Gesché, théologien belge aujourd’hui décédé, les propos suivants : « Dans le récit de la création, non seulement le mal n’est pas créé, mais on n’en parle pas : il n’appartient pas au plan, à l’idée de la création. Cela signifie que le mal est dépourvu de sens (…) Il est là cependant (…) Le surgissement du mal n’a pas à être cherché du côté de Dieu (…) et son apparition première n’est pas davantage recherchée du côté de l’homme (…) Le problème du mal, à ce niveau premier et radical, n’est pas celui d’une culpabilité (sauf celle du serpent), ni même pour l’instant d’une responsabilité, mais d’un accident (…) La question, dans cette approche des choses, est d’abord celle du ‘comment en sortir ?’ avant d’être celle, plus spéculative et gratuite, du ‘comment y est-on entré ?’ » (Le Mal, coll. Dieu pour penser, t. I, Paris, Cerf, 1993, p. 47-49).

Le Tentateur a-t-il partie liée avec le Mal ? Je dirais plutôt l’inverse : le Mal a partie liée avec le Tentateur, il se saisit de ceux que la tentation a fait chuter, il cherche à les marquer de son empreinte. mais le Tentateur n’est pas le Mal. Il est, à la frontière entre bien et mal, celui qui met à l’épreuve, qui teste la foi des fils de Dieu et il joue un rôle positif dans la création en permettant aux saints, et à Jésus au premier chef, de manifester leur fidélité à Dieu, et à ceux qui ne sont pas saints de le devenir, en éprouvant la miséricorde divine qui vient les pardonner : il est donc légitime que le serpent, ou Satan, ou l’Adversaire, ait été créé par Dieu, et non moins légitime qu’il apparaisse à la cour céleste. Alors, vive le Tentateur !!!

P. S. Pour une étude plus approfondie sur la question du Mal, voir l’article que j’ai écrit et mis à disposition sur mon autre blog Biblicom

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