Béatitudes (5,1-12)

Matthieu 5,1-12

Commentaire

La situation des Béatitudes telle que proposée par Matthieu est intéressante lorsqu’on la met en parallèle avec le don de la loi mosaïque : sur une montagne comme avec Moïse (peu importe le prétexte ici donné, insignifiant) parce qu’il s’agit bien de la « parole de Dieu », avec les disciples au premier plan (ils sont les premiers récepteurs de la catéchèse qui commence), et prédication orale (« ouvrant sa bouche ») à la différence de Moïse qui écrivit « les tables de la loi ».

Du point de vue de la forme, il semblerait en faisant le compte des « heureux » que l’on dispose de 9 béatitudes chez Matthieu. Mais on constate que celle du verset 3 et celle du verset 9 se répondent à travers le deuxième membre de phrase : auquel cas, il n’en reste plus que 8.

Le contenu est donc donné sous forme de béatitudes (Luc y ajoute des malédictions), figure littéraire courante dans la Bible (voir par exemple le psaume 1), et elles déterminent des attitudes : pauvreté, douceur, justice etc. Celles-ci sont mises en valeur, sous forme de contre-pied des valeurs mondaines habituelles : comme des provocations.

Sous cet angle, elles sont profondément originales, et typiques de ce que seront les attitudes de Jésus tout au long de sa vie terrestre : ce qui explique qu’il soit souvent présenté comme « l’homme des Béatitudes », et celles-ci vues comme son programme de vie.

La dimension juridique est totalement absente, sans doute parce que ce ne sont pas des lois justement : en fait, ces béatitudes ont une connotation eschatologique, elles nous tournent vers la fin des temps, vers le Royaume des cieux à établir, et nous disent le chemin à suivre pour y parvenir. Sous forme asymptotique. Dès lors, on ne s’étonnera pas si elles apparaissent loin de la portée immédiate de tout un chacun.

La première concerne les « pauvres en esprit », quand Luc évoque les pauvres tout court : on peut penser, dans un premier temps que Luc, très préoccupé par la question de la richesse, a ajouté sa patte. Mais il est aussi possible à l’inverse que Jésus ait bien parlé des pauvres, en particulier des humbles et opprimés du fait de leur foi, qui n’ont pas la possibilité de se défendre, et que Matthieu ait voulu souligner cette dimension.

Les doux posséderont la terre : cette béatitude reprend Ps 37,11, ou presque dans la mesure où seule la forme diffère : elle manifeste que les Béatitudes dans leur ensemble, pour originales qu’elles soient dans leur forme, procèdent de l’Écriture méditée par Jésus. D’ailleurs, la béatitude suivante, qui évoque ceux qui pleurent, autrement dit les affligés, ceux qui se désolent sur le sort d’Israël ou… de Jérusalem comme le fera Jésus lui-même (Lc 19,41-48), renforce ce point de vue : elle renvoie en effet à Is 61,2.

Jr 38,25, dans la version de la Septante, avait déjà parlé de rassasiement : « J’ai enivré toute âme altérée ; j’ai rassasié toute âme affamée ». Mais en Matthieu se trouve une dimension de justice, certes familière au public juif pour lequel écrit Matthieu, mais qui est absente chez Luc : une fois de plus, on peut penser à un commentaire, tant il est vrai que la béatitude paraît lourde, alors que celle de Luc, « heureux les affamés car ils seront rassasiés » paraît simple et complète. D’ailleurs, ce thème de la justice sera repris au verset 10 où il trouve mieux sa place.

La miséricorde (v. 7) est une dimension essentielle de l’amour divin, qui pardonne et encourage. Il exige une forme de réciprocité, classique dans les conditions de l’alliance, et dont le Notre Père sur le même thème se fait aussi l’écho.

La béatitude des cœurs purs est très proche de ce que l’on peut trouver en Ps 24,3-4 :  » Qui montera sur la montagne du Seigneur ? Et qui se tiendra dans son lieu saint ? L’homme aux mains nettes, au cœur pur… » De fait, le cœur pur est celui qui voit Dieu en toutes choses, dès cette terre déjà.

Le verset 8 évoque bien les « faiseurs de paix », autrement dit ceux qui y travaillent, et non pas simplement les pacifiques. Ils seront appelés « fils de Dieu » : une telle appellation s’applique dans l’AT aux anges (Gn 6,2.4 ; Jb 1,6), et au peuple d’Israël (cf. Dt 14,1 ; Ps 29,1). Pour les chrétiens, le fils de Dieu par excellence est Jésus, et les artisans de paix lui seront donc particulièrement configurés ; mais cette capacité s’étend au-delà d’eux comme le rappelle Rm 8,14, dans le mesure où le fruit de l’Esprit est paix : « tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu ».

Les versets 10-11, qui ne forment sans doute qu’une seule béatitude, ferment la marche avec une tonalité très différente : rien n’évoquait jusque là une quelconque opposition contre les humbles, les miséricordieux ou les artisans de paix… Et pourtant ! Ainsi, les disciples sont-ils prévenus d’emblée : le Royaume que prêche Jésus et dont il vient de tracer les contours n’adviendra pas sans persécutions affectant les disciples.

Cette béatitude concerne Jésus au premier chef, comme elle a concerné tous les prophètes avant lui.