4e dimanche de Pâques ; sur Jn 10,11-18
Frères et sœurs, qu’est-ce qui distingue le vrai pasteur du mercenaire dont il est question dans l’évangile de ce jour ? La réponse à cette question nous est donnée par Jésus lui-même : devant le danger, le premier fait face alors que le second s’enfuit. Mais cette réponse engendre une autre question : pourquoi en est-il ainsi ? Jésus nous suggère là encore la réponse : le mercenaire n’est pas d’abord intéressé par les brebis elles-mêmes, mais par le profit qu’il retire à les garder, alors que le vrai pasteur n’a pas d’autres intérêts que ceux de ses brebis.
Jésus déclare être lui-même ce bon Pasteur, mais il est alors difficile ou un peu court de dire qu’il s’intéresse à ses brebis, alors qu’il va jusqu’à donner sa vie pour elle. On s’attendrait donc à ce qu’il soit question d’amour, mais ce n’est pas le cas : Jésus parle en fait de connaissance réciproque, « je connais mes brebis et mes brebis me connaissent ». Le mot paraît si banal qu’il peut surprendre, et nous sommes donc invités à nous interroger sur cette connaissance qui le lie à ses brebis et qui lie d’une certaine manière les brebis entre elles : après tout, il se trouve bien des gens que nous connaissons et pour lesquels nous ne serions pas prêts à donner notre vie…
Ce n’est certainement pas une connaissance banale, telle que celle qui permet d’attribuer le bon nom à la bonne personne, même si le verbe grec employé n’évoque a priori qu’une connaissance ordinaire ; en effet, Jésus la situe dans le cadre de sa relation à son Père : « comme le Père me connaît et que je connais le Père ». On sait qu’il s’agit là d’une relation très unique, que saint Jean évoque de plusieurs manières dans son évangile, par exemple lorsque Jésus dit qu’il fait ce que le Père fait, ou qu’il veut ce que le Père veut. Cette connaissance est donc une communion intime, un lien unique qui se manifeste au niveau de la pensée et de l’agir, en fait de tout l’être : rien d’étonnant que ce même verbe connaître puisse aussi servir à désigner dans la Bible l’union conjugale. Jésus connaît donc son Père avec cette qualité de communion, et, surtout, il connaît ses brebis, il nous connaît de cette même manière. Et le Père à son tour connaît le Fils comme il nous connaît de cette même manière.
Vous le constatez, même si le mot n’est pas employé, il est bien vrai que connaissance et amour ici s’échangent. Mais ce n’est pas nécessairement toujours le cas : pensons à l’apôtre Paul qui oppose la connaissance et l’amour lorsqu’il écrit dans la première lettre aux Corinthiens que « la connaissance enfle et l’amour édifie ». Mais comme il ajoute aussitôt : « si quelqu’un aime Dieu, il est connu de lui », nous comprenons qu’il existe deux formes de connaissance : celle selon le monde qui tourne vers soi et qui isole, mais aussi celle selon Dieu qui tourne vers le prochain et qui édifie. Autrement dit qui rassemble. Ce qui justifie la réflexion de Jésus : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie : celles-là aussi, il faut que je les conduise ».
Et nous comprenons aussi ce que peut être l’invitation que Jésus nous adresse aujourd’hui : non pas guider les brebis, ce qui est de son ressort, l’unique pasteur, mais les connaître, de cette connaissance dont il vient de nous parler. Nous le savons bien, nous avons des voisins, des gens que nous côtoyons tous les jours, qui ne sont pas de notre enclos et qu’il nous est difficile d’aimer : Jésus nous invite aujourd’hui à aller au-devant d’elles pour les connaître, de cette connaissance dont il nous connaît et dont nous le connaissons. Il s’agit de bien autre chose que de savoir distinguer l’apparence ou attribuer un nom, il s’agit du premier pas à faire sur le chemin de l’amour.