Frères et sœurs, beaucoup d’entre vous connaissent sans doute ce dicton : « le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien ». Mais est-ce si sûr ? Aujourd’hui nous célébrons le don divin d’un bien, celui de l’Esprit, et il se fait avec un certain bruit, si l’on s’en rapporte à Luc dans les Actes des Apôtres : « Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d’un violent coup de vent » ; le bruit est d’ailleurs tel qu’il ameute les gens au dehors. Bruit ou silence, qu’est-ce donc qui atteste le passage de Dieu et plus particulièrement celui de l’Esprit ?
L’Ancien Testament ne semble pas avoir une position claire. Lorsque Dieu se manifeste à Moïse sur la montagne, il le fait dans le bruit et la fureur : « Moïse parlait et Dieu lui répondait dans le tonnerre » (Ex 19,19). A l’inverse, lorsque Dieu se présente au prophète Élie, il n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le tressaillement d’une brise légère (1 R 19,11-12). Certains exégètes vous diront bien sûr qu’il s’agit de traditions différentes venues d’époques différentes, ce qui est vrai, mais nous restons avec notre question : où trouver Dieu dans notre monde ?
Trois mille ans plus tard, je ne suis pas sûr que nous ayons beaucoup progressé. Certains partent au désert pour rencontrer Dieu quand d’autres vont au milieu des foules ; certains attendent des autorités de l’Église, du pape entre autres, qu’elles interviennent haute et fort à tout propos, quand d’autres leur demandent de se taire et d’écouter le murmure des petits.
Si l’on prête l’oreille à ce que dit Paul aux Galates dans la deuxième lecture, on doit tout de même penser que l’Esprit préfère la discrétion. Tout le bruit est du côté de la chair, puisque celle-ci produit débauche, querelles, jalousie ou colère, quand l’Esprit engendre paix, patience, humilité ou maîtrise de soi. Jésus ne dit rien d’autre en saint Jean puisque l’Esprit fait connaître et s’adresse donc en priorité au cœur et à l’intelligence de chacun. Mais vous aurez remarqué que cette discrétion est de mise lorsque Dieu, par son Esprit, parle à tel ou tel homme, dans ce que l’on peut appeler une relation individuelle. Écouter l’Esprit qui me parle exige du recueillement, pour employer un mot magnifique et trop souvent mal compris.
Maintenant, libre à lui de parler, de se manifester collectivement de la manière qu’il voudra, éventuellement dans le bruit. Et nous en avons de multiples exemples. Permettez-moi de revenir 40 ans en arrière, en France, en mai 1968 : je revois encore les choses, nous avons eu un grand mouvement social qui s’est manifesté de plusieurs manières, en particulier dans la rue. Beaucoup de bruit pour rien, diront certains. On parle encore chez nous, de manière très souvent péjorative, des « héritiers de mai 68 ou des soixante-huitards ». Pourtant, à l’époque, un philosophe chrétien français, Maurice Clavel, parlait lui d’un mouvement avec une forte composante spirituelle, et j’ai toujours pensé qu’il avait eu raison. Du coup, je me dis qu’il existe deux types de bruits : un bruit désordonné, une cacophonie, du n’importe quoi comme disent certains, et un bruit ordonné, qui est d’ailleurs au fondement de la bonne musique ; tous les deux ont dû coexister en France en 1968 comme ils peuvent le faire encore aujourd’hui.
Si l’Esprit doit être accueilli dans le silence, ses manifestations peuvent être bruyantes, et je pense à certaines grandes manifestations charismatiques, ou bien aux Journées Mondiales de la Jeunesse ! Dans ces circonstances, le bruit est très ordonné, et il peut dire aussi la présence de l’Esprit. Mon rêve, mon vœu, en ce jour de Pentecôte, pour cette région qui est la nôtre, est que l’Esprit y soit tellement accueilli dans le silence des cœurs que tous les murs finissent par s’écrouler : croyez-moi, cela fera du bruit !