2e dimanche de l’Avent ; Baruch 5,1-9 ; Luc 3,1-6
Frères et sœurs, compte tenu de la situation géographique qui est la nôtre, il est difficile de ne pas être touché par les paroles entendues tout à l’heure dans le livre de Baruch : « Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère, et revêts la parure de la gloire de Dieu (…). Dieu va déployer ta splendeur partout sous le ciel, car Dieu pour toujours te donnera ces noms :« Paix-de-la-justice » et « Gloire-de-la-piété-envers-Dieu » ». C’est beau, bien sûr, mais cela paraît tellement irréaliste !
Et lorsqu’on lit l’évangile de saint Luc dans la foulée, on a le sentiment que le rêve continue. A un moment bien précis de l’histoire où « Ponce Pilate était gouverneur de la Judée, Hérode prince de Galilée, son frère Philippe prince du pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias prince d’Abilène, et où les grands prêtres étaient Anne et Caïphe », c’est-à-dire à un moment où le peuple de Judée était opprimé, et où ses représentants ne pouvaient prétendre être des personnalités éclairées, où la vie n’était pas facile, la parole de Dieu annonce que « tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; que les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ; et que tout homme verra le salut de Dieu ».
Certains diront que l’on nageait déjà à l’époque dans le virtuel. Pour ma part, il me semble que l’on reconnaissait plutôt que l’histoire peut se lire à deux niveaux, un premier niveau sur lequel l’histoire humaine apparaît telle que nous la connaissons, avec sa dureté, sa violence ou parfois aussi sa beauté, et un autre niveau sur lequel l’histoire apparait divine, telle que Dieu la connaît et telle qu’il nous donne aussi de la connaître. Ce deuxième niveau de lecture n’a rien d’évident à nos yeux de chair, il se révèle à ceux que l’on appelle les prophètes, à ceux qui se mettent à l’écoute de Dieu, à ceux qui mettent en lui leur foi.
Nous allons fêter Noël, la venue de Dieu en notre chair : rien de grandiose, rien de fulgurant, bien au contraire, une simple naissance d’un enfant banal dans une famille banale, dans un endroit reculé, dans un espace confiné. Fait tellement insignifiant à ce premier niveau de l’histoire humaine, qu’aucun journal de l’époque, aucun écrivain du temps n’y a jamais fait allusion. Mais cette même histoire a été lue à un autre niveau, et pas seulement après coup comme pour se consoler, par des bergers, des mages et bien sûr des évangélistes, qui y ont reconnu, instruits par Dieu, un moment singulier de l’histoire, porteur d’une immense espérance.
La deuxième lecture nous donne le mot que notre tradition religieuse emploie pour évoquer cette capacité de lire l’histoire autrement, c’est le mot discernement. Paul dit aux Philippiens : « dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la connaissance vraie et la parfaite clairvoyance qui vous feront discerner ce qui est plus important ». Paul indique donc à ses lecteurs qu’il y a une autre connaissance, la vraie, une autre clairvoyance, la parfaite, que celles qui sont habituellement les leurs. Le discernement est l’élément essentiel qui fait entrer dans ce nouveau regard, et il se fonde sur l’amour, l’amour dont Dieu vit lui-même, l’amour par lequel il connaît et nous donne de connaître avec lui et en lui.
Frères et sœurs, la vie à Jérusalem à l’époque du prophète Baruch ou à celle de Jésus n’était donc ni plus belle, ni plus agréable ni plus juste que la vie dans la Jérusalem d’aujourd’hui. Aucun prophète, pas même Jésus, n’a jamais prétendu la transformer d’un coup de baguette magique, ou n’a invité ses auditeurs à la rêver autrement qu’elle n’est. Mais dans la plus terrible des injustices, dans la plus grande des souffrances, et jusque dans la mort, au cœur de cette Jérusalem terrestre, Jésus a ouvert le cœur et l’intelligence de ses disciples sur un autre vision du monde. Ce monde-là n’est perceptible à nos yeux de chair qu’en Jésus, à travers sa connaissance et son discernement, et donc à la mesure de l’amour que nous avons pour lui. Voilà la bonne nouvelle de Noël : en Jésus, il nous est donné de voir le monde autrement, de la manière dont il le connaît et le voit lui, de la manière dont son Père, avec qui il ne fait qu’un, le connaît et le voit lui. Voilà ce que nous attendons, voilà le cadeau de la crèche.