Chaque année, vers les mois de novembre/décembre, autrement dit dans le temps de l’Avent qui précède Noël, l’église catholique invite ses fidèles à la veille. Les fidèles en question, dont je suis, peuvent avoir l’impression que cette demande répétitive n’a pas beaucoup de sens, surtout maintenant que nous ne sommes plus aux tout débuts de l’Église et que la plupart d’entre nous ne s’attendent pas à un retour du Messie demain ou après-demain. En d’autres termes, l’urgence de cette veille s’estompe année après année…
Pourtant, urgence il y a, et aujourd’hui plus que jamais. Faute de veilleurs, nos amis, nos concitoyens, nos contemporains, nous-mêmes, tous nous nous endormons devant des réalités qui devraient nous horrifier et auxquelles nous nous sommes malheureusement habitués, nous ne protestons plus, nous nous accommodons : je pense par exemple à la question de la guerre, à celle du racisme, ou à celle de la pauvreté. Mais, me direz-vous, où allons-nous les trouver ces veilleurs ? Dans l’Ancien Testament, le travail du veilleur et celui du voyant sont souvent liés, et associés au prophétisme ; relisons le début du livre de Jérémie : « La parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : « Que vois-tu, Jérémie? » Je répondis : « Je vois une branche de veilleur. » Alors le Seigneur me dit : « Tu as bien vu, car je veille sur ma parole pour l’accomplir. » (1,11-12) Les prophètes en effet ne sont pas, comme on le pense souvent, des gens qui voient l’avenir, mais des gens qui sondent le présent, qui le voient avec les yeux de Dieu, au-delà de la perception qu’en a le commun des mortels, et parlent au nom de ce même Dieu. Pour faire écho à une expression biblique, ils voient l’invisible, ils le dévoilent et, le plus souvent, à leurs risques et périls.
Qui sont-ils ces veilleurs ? Mais vous en connaissez sûrement autour de vous : les poètes, les romanciers, certains journalistes, les priants, les prédicateurs, tous ceux qui se mettent à distance de leur écran pour se confronter à la réalité quotidienne et tenter de comprendre, ou mieux de voir, ce qu’elle nous cache. Travail de décryptage, de révélation, d’enfantement, qui demande du temps et de l’inspiration : parce qu’il s’agit toujours, de quelque manière, de l’oeuvre de l’Esprit en nous. Il faut relire sous cet angle certains passages de la lettre de saint Paul aux Romains, au chapitre 8 : « L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu (…) Toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement. Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps ».
En ces temps de sommeil et de nuit, partout sur la planète, puissent se multiplier les veilleurs, hérauts de la justice et de la paix ! Et pas seulement pour le temps limité de l’Avent.