Frères et sœurs, l’évangile évoque aujourd’hui à trois reprises les paroles de Jésus et vise sans doute, au-delà d’elles, la parole de Dieu. Pour certains disciples, il s’agit donc d’une « parole rude », difficile à entendre ; pour Jésus lui-même, ce sont des paroles « d’esprit et de vie » ; et pour Pierre enfin, « des paroles de vie éternelle ». Comment alors ne pas se poser la question de savoir ce qu’il en est pour nous, surtout que notre relation à Dieu se vit aujourd’hui, à la différence des disciples, largement par la médiation de ces paroles ?
Parole rude, disent donc certains. Alors, certes, la parole de Paul n’est pas exactement la parole de Jésus, mais elle est aussi pour nous vecteur de la parole de Dieu et l’exemple d’Éphésiens est un bon exemple de cette rudesse : voilà un texte qui inspire la défiance avec sa recommandation bien connue « femmes soyez soumises à vos maris ». On y oublie que la soumission est d’abord demandée à tous « soyez soumis les uns aux autres », qu’il s’agit d’être soumis au mari « comme au Seigneur Jésus », et qu’enfin les hommes sont invités à « aimer leurs femmes comme le Christ a aimé l’Église », ce qui évidemment n’est pas rien !
Oui, elle est rude cette parole si elle tombe sur nous comme un cheveu sur la soupe, sans connaissance, sans explication, sans apprivoisement ! Autrement dit, comme une parole étrangère. Mais dîtes-moi, frères et sœurs, auriez-vous la prétention de comprendre la lettre d’un étranger sans connaître au moins quelque peu sa langue, son pays, sa manière de parler, son environnement ? C’est tout le problème de la parole de Dieu : comme elle vient de Dieu, comme l’Esprit-Saint nous a été donné, nous pensons spontanément qu’elle doit être compréhensible immédiatement, sans intermédiaire, ou bien alors qu’elle n’est pas parole de Dieu. Mais cette parole est toujours passée par des médiations humaines, elle a ses spécificités, il nous faut apprendre à la recevoir, à la lire, à la questionner, toutes choses qui demandent, il est vrai, du temps.
Mais si nous prenons ce temps, et les disciples justement l’ont pris, aussi bien ceux qui étaient avec Jésus et qu’il a longuement instruits, que saint Paul, qui, élevé comme tous les juifs dans cette parole, a pris trois ans pour méditer le mystère de Jésus après la rencontre de Damas, alors, elle est vraiment esprit et vie. Elle n’est rude que parce qu’elle renverse souvent l’ordre de notre monde, et nous prend à rebrousse-poil : mais en vérité, comme le confessent les auditeurs de Josué dans la première lecture, elle éclaire notre route, et nous montre que « c’est Dieu qui, sous nos yeux, a accompli tous ces signes et nous a protégés tout le long du chemin que nous avons parcouru ». Ce que saint Paul, dans la deuxième lecture, confesse à sa manière : « Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Église », autrement dit pour chacun de nous à travers sa parole.
Frères et sœurs, la parole de Dieu n’a pas toujours trouvé dans l’église catholique l’accueil qu’elle aurait dû recevoir, c’est vrai. Mais depuis près d’une cinquantaine d’années, disons depuis le concile Vatican II, les choses ont changé : aujourd’hui, pour la confirmation par exemple, mais aussi en d’autres occasions, il n’est pas rare d’offrir des bibles. Plus récemment, plusieurs sites vous proposent de lire chaque jour en ligne l’évangile du jour, et les groupes bibliques se multiplient. Il est très heureux qu’il en soit ainsi, à condition que ces bibles, que cet évangile ne soient pas seulement reçus, mais aussi lus. À la manière de Josué dans la première lecture, je vous pose donc la question : « choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir, le Dieu qui vous parle ou les dieux muets qui régissent nos sociétés ? »