On parle de moins en moins des passages de l’exhortation du pape François, Amoris Laetitia, sur les divorcés-remariés et de la situation qui est la leur au sein de l’église catholique : pour certains commentateurs, il est clair que la continuité prévaut au nom de la fameuse et souvent mal comprise Tradition, pour d’autres, des ouvertures sont apparues. Le temps et les usages montreront ce qu’il en est réellement. Mais un point continue de me chiffonner dans les réactions que j’ai pu lire : trop souvent, il ressort des commentaires que la grâce viendrait infirmer, diminuer ou même supprimer la loi… Une sorte de combat face à face dans lequel il devrait y avoir un vainqueur, la loi pour les uns, la grâce pour les autres. Mais s’agit-il bien de cela ?
Quand on parcourt les évangiles, quand on s’intéresse à l’attitude de Jésus face aux personnes qu’il rencontre, il est clair qu’à plusieurs reprises, la grâce, ou la miséricorde si l’on veut, prévaut sur la loi : l’un des exemple les plus connus est celui du « fils prodigue » (Lc 15,11-32), que j’ai déjà évoqué dans ce blog sous un angle à peine différent, mais on peut aussi mentionner les ouvriers de la onzième heure (Mt 20,1-16) ou la femme adultère (Jn 8,1-11). Tout cela ne veut pas dire que la loi soit rejetée, mise en cause ou simplement oubliée, et l’évangéliste Matthieu nous le fait bien comprendre à travers la parole suivante bien connue de Jésus : « pas un iota de la loi ne passera » (Mt 5,18). Il en va ici comme des exceptions dans la langue française : fussent-elles nombreuses, elles ne remettent pas en cause la règle, en définitive elles la confirment. A leur manière. Pour le dire un peu autrement, quand une mère ou un père de famille donnent plus à tel ou tel de leurs enfants en difficulté, qui ira penser qu’ils en aiment nécessairement moins leurs autres enfants et seraient injustes envers eux ?
Si donc telle ou telle grâce était faite aux divorcés-remariés, ce dont personnellement je me réjouirais, nul ne devrait en conclure que la principe de l’indissolubilité du mariage serait mis en cause, autrement dit que la loi serait diminuée ou bafouée et que ceux qui s’en réclament seraient désavoués. Il n’en est rien, bien au contraire, et tous, graciés ou non, devraient s’en réjouir.
Le problème de fond est toujours le même et pas toujours relevé, et il touche à l’un des principes essentiels de la foi chrétienne, celui de la gratuité : notre nature humaine nous conduit sans cesse à vouloir quantifier la grâce, à la mesurer, à la comparer, à se l’approprier, alors qu’elle est par essence gratuite et non opposable. En tout cas pas à la loi, qu’elle vient simplement ajuster pour faire droit à tous les cas d’espèce.