Une vie donnée

autelAujourd’hui, veille du Jeudi-Saint et donc du grand Triduum pendant lequel nous célébrons la mort et la Résurrection de Jésus, et en particulier l’institution de la Sainte Cène, j’ai souhaité donner la parole à Saint Augustin, pour un magnifique texte exhortatif entendu à l’office des Vigiles. Sans doute est-il opportun de rappeler, pour mieux entendre ce texte, qu’un usage très ancien dans l’Eglise invitait à célébrer l’Eucharistie sur le tombeau des martyrs. Voici ce qu’en dit mon amie Blandine Dominique Berger dans son ouvrage sur « Le drame liturgique de Pâques » (p. 262) : « A Rome, des la fin du IV° siècle, on prit l’habitude de célébrer l’Eucharistie près du tombeau des martyrs : et même sur les tombeaux des martyrs pour signifier que le sacrifice consenti par les chrétiens pour leur foi ne faisait qu’un avec celui du Christ. Peu à peu cet usage devint une règle universelle à travers tout l’Occident, mais il ne gagna pas l’Orient. A défaut du corps d‘un martyr on déposa sous l’autel, puis dans l’autel lui-même, quelques reliques de martyrs. Table du Seigneur, l’autel est donc aussi secondairement le tombeau des martyrs ».

Maintenant donc, un extrait du texte de saint Augustin, tiré de son « Commentaire sur l’évangile de Jean » :

« La plénitude de l’amour dont nous devons nous chérir mutuellement, frères très chers, le Seigneur l’a définie lorsqu’il a dit : Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. ~ Il en découle ce que le même évangéliste saint Jean dit dans sa lettre : De même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même devons-nous donner notre vie pour nos frères. Oui, nous devons nous aimer mutuellement comme il nous a aimés, lui qui a donné sa vie pour nous.

C’est bien ce qu’on lit dans les Proverbes de Salomon : Si tu t’assieds à la table d’un grand, regarde bien les mets qui te sont servis, et prépare-toi à l’action, car tu sais que tu dois lui en offrir autant. Quelle est cette table d’un grand, sinon celle où l’on consomme le corps et le sang de celui qui a donné sa vie pour nous ? Qu’est-ce que s’y asseoir, sinon y prendre place humblement ? Qu’est-ce que bien regarder les mets qui te sont servis, sinon prendre conscience d’une si grande grâce ? Qu’est-ce que te préparer à l’action parce que tu dois lui en offrir autant, sinon ce que j’ai déjà dit : que nous devons donner notre vie pour nos frères comme le Christ a donné sa vie pour nous ? Comme le dit en effet l’Apôtre Pierre : Le Christ a souffert pour nous et nous a laissé son exemple afin que nous suivions ses traces : c’est cela, lui en offrir autant. C’est ce que les martyrs ont fait avec un ardent amour. Si nos célébrations sur leurs tombeaux ont un sens, si nous prenons place à la table du Seigneur, pour le banquet où ils se sont eux-mêmes rassasiés, il faut que, comme eux, nous sachions en offrir autant.

C’est pourquoi nous faisons mémoire des martyrs, en prenant place à cette table, non pas afin de prier pour eux, comme pour les autres défunts qui reposent dans la paix : c’est bien plutôt afin qu’ils prient pour nous, et que nous suivions leurs traces. Car ils ont accompli cet amour dont le Seigneur a dit qu’il ne peut en être de plus grand. Ils ont offert à leurs frères cela même qu’ils ont reçu à la table du Seigneur ».

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