Dans une magnifique chanson intitulée « Dis, quand reviendras-tu ? », la chanteuse Barbara fait un constat : « le temps qui passe ne se rattrape guère, le temps perdu ne se rattrape plus ». Voilà ce que nous croyons souvent, mais qu’en est-il en réalité, en particulier pour un chrétien ?
Il existe plusieurs manières d’appréhender le temps. L’homme prométhéen, que je ne cesse de dénoncer sur ce blog comme ici, croit en être maître, pouvoir le posséder et même le rattraper : « je n’ai pas le temps », « le temps, c’est de l’argent »… Jusqu’au « je n’ai pas de temps à perdre » qui semble rejoindre l’affirmation de Barbara alors qu’il signifie exactement l’inverse, un refus d’accueillir le temps donné tel qu’il est donné.
Mais il est une autre manière d’appréhender le temps, et je crois que c’est la manière évoquée par Barbara et qui rejoint beaucoup de nos contemporains : le temps est donné, mais ce donné n’a pas de donateur. Il nous échoit, avec une dimension d’arbitraire : s’il est reçu, on essaiera d’en tirer le meilleur parti, pour soi ou même, chez les plus altruistes, pour les autres ; s’il est raté ou perdu, alors il est définitivement perdu !
Barbara et ceux qui la suivent ont en commun avec les chrétiens d’accepter le secret du temps, à savoir le fait qu’il soit donné et l’impuissance radicale de l’homme à le maîtriser. Une impuissance qui fait peur et pousse à accueillir les fausses promesses du transhumanisme, une impuissance qui peut se dire ainsi : non seulement la durée de notre vie terrestre ne nous appartient pas, mais chaque moment de cette vie est un don.
C’est donc aussi ce que confessent les chrétiens lorsqu’ils proclament avec Jésus chez Matthieu : « Qui d’entre nous peut rallonger d’un empan la longueur de sa vie ? » (Mt 6,27), ou lorsqu’ils chantent avec le psalmiste : » A tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit » (Ps 90,4). Mais les chrétiens me semblent avoir une chance rare, celle de voir encore plus loin que Barbara et les siens. Pour eux qui savent aussi combien chaque moment est important, et qui constatent malheureusement qu’ils n’ont pas su saisir une opportunité donnée, qu’un temps de la vie leur a échappé, cette opportunité ou ce temps ne reviendront pas comme tels, mais il existe pourtant un « rattrapage » possible tant que dure la vie terrestre.
L’exemple le plus évident en est le « bon larron » (Lc 23,39-43) : celui-ci n’a pas été crucifié par hasard, en tout cas Jésus ne l’entend pas ainsi et il ne cherche pas à rattraper illusoirement par de pieuses paroles le temps passé du larron. Mais la confiance que celui-ci accorde à Jésus dans sa vie terrestre, au moment même où il va la perdre, suffit à « racheter », et donc d’une certaine manière à « rattraper » le reste de cette vie et à lui assurer de se trouver auprès de Jésus, dans son Royaume. En fait, ce que croient les chrétiens, c’est qu’un mouvement de charité, fût-il le plus petit possible, fût-il infiniment tardif, suffit à ouvrir le cœur de l’immense miséricorde divine. Si bien qu’avec elle, rien n’est jamais perdu, pas même le temps passé à s’en tenir à distance !
Merci Hervé pour ce billet.
3 citations qui me viennent à l’esprit en te lisant, et qui dessinent dans mon esprit les contours on ne peut plus flous de cette notion aussi concrète qu’abstraite qu’est le temps.
– « Le temps, c’est qu’on en fait » (publicité Swatch des années 90)
– « Le temps est relatif, c’est la vitesse maximale qui est la constante » Mon prof de physique de lycée, inspiré par Einstein
– « Rien ne se perd. Jamais » Charette
Amitié,
N’est-ce pas un peu délicat de parler de miséricorde divine, en partant d’une chanson de Barbara, dont on sait qu’elle a subi le comportement incestueux de son père ?
« Le temps perdu ne se rattrape plus » se comprend à l’aune de son histoire.
Dont on sait.. ou dont on ne sait pas ! Est-ce que cela invalide la réflexion ?