La fragilité qui naît des épreuves de la vie

Fragilité, ce mot est revenu à plusieurs reprises sur ce blog : ici, par exemple, il y a un peu plus d’un an, alors que j’en faisais l’éloge ; ou , plus récemment, à propos de l’amour fraternel. Mon grand ami saint Paul parle lui plutôt de « faiblesse » (Rm 8,26 ; 1 Co 15,43 ; 2 Co 12,9 etc.), avec une connotation morale, ce qui n’est pas exactement la même chose que la fragilité dont je souhaite parler, mais on sent une certaine parenté quand même. Toutefois, si je me suis déjà étendu sur le sujet, pourquoi y revenir ? 

Tout simplement parce que, dans le cadre de l’actualité, la mort de Johnny Hallyday a remis à mes yeux la question sur le tapis : en m’interrogeant sur le ressort secret d’une sorte de communion nationale qui s’est faite, en particulier à l’occasion de ses obsèques, le terme de fragilité a spontanément ressurgi à mon esprit. Le ton a été donné dès le remarquable portrait du chanteur tel que l’a brossé Philippe Labro, un de ses paroliers, au début de la célébration à l’église de la Madeleine : « Ce qui fascine, ce qui le rend, aux yeux des millions de gens qui ont voulu se reconnaître en lui, lorsqu’il empruntait les mauvais chemins pour retrouver, ensuite, les bonnes avenues, – ce qui émeut et provoque estime et admiration, c’est qu’à travers toutes les chutes et rebonds, tous les excès et toutes les extravagances, Johnny est resté le même homme. ‘L’homme, cette corde tendue au-dessus d’un abime’, comme l’écrit Nietzsche ».

Oui, dans ce portrait, j’ai reconnu la fragilité d’une « idole » qui ne devrait pas en avoir, celle de tout être humain, la mienne aussi. Une fragilité que l’on s’efforce habituellement de cacher, une fragilité que l’on combat, une fragilité qui, en Johnny Hallyday, se trouvait exposée depuis des années, depuis ses débuts, depuis son plus jeune âge (l’absence du père par exemple). Une fragilité multiple en laquelle, comme le note Labro, chacun peut se reconnaître, et qui explique largement, à mes yeux, la communion qui s’est instaurée hier. 

En fait, il y a au moins deux types de fragilité : celle de la maladie grave ou du handicap d’une part, et celle qui découle des épreuves de la vie, d’autre part. J’ai déjà parlé plusieurs fois de la première, en évoquant par exemple la trisomie de Guillaume, ou la maladie dégénérative de Gaspard, beaucoup moins de la seconde. Toutes deux font peur, spécialement la première qui, en général, est plus visible et dont certains semblent craindre qu’elle se propage par contagion ou capillarité : c’est ainsi qu’une personne de ma famille me disait qu’à l’occasion de sa leucémie, elle avait perdu tous ses « amis » et avait dû ensuite en retrouver d’autres ! Mais l’autre fragilité, plus discrète, mais aussi plus universelle, fait surtout peur à celui qui en est la victime, et moins à son entourage auquel d’ailleurs, très souvent, il s’efforce de la cacher. 

Fragilité HallydayDommage car, affrontées, assumées, à un prix souvent élevé, l’une et l’autre fragilité font souvent la force de ceux qu’elles touchent, et génèrent de nouvelles solidarités ou communions. Oh ! certes, dans les deux cas, c’est un combat, une conquête, mais qui, entrepris et réussis, peuvent porter des fruits de grâce. Pour Johnny Hallyday, qui est le prétexte de cette méditation, et que je prends en exemple sans prétendre qu’il soit exemplaire, Philippe Labro s’est encore une fois admirablement exprimé à ce sujet : il va employer le terme de grâce sans, a priori, lui donner son harmonique chrétienne, mais je pense qu’elle y est.

« Laeticia [l’épouse de Johnny) dira : « Il a appris à s’aimer. Il ne croyait plus en grand-chose. Il s’est accepté et il y a gagné la paix et l’équilibre. » Il faut, dès lors, parler de grâce. La mauvaise gloire aboutissant au poison, la gloire le conduit vers une sorte de grâce. Grâce dans ses rapports aux autres (…), grâce dans son travail (…) grâce dans son respect et sa proximité constante avec le public (…) et enfin grâce dans l’épanouissement de son amour : pour elle, Laeticia, pour ses enfants, les plus âgés comme les plus jeunes, Jade et Joy, à l’égard desquelles, il déploie l’art d’être un père, baignant enfin dans ce que Mauriac a si bien appelé « le lait de la tendresse humaine » ».

On ne pouvait mieux dire de l’œuvre de la grâce dans ce cas précis, celle de la fragilité dans les épreuves de la vie.

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