Frères et sœurs, nous croisons chaque jour des personnes dans la rue qui, comme on dit, « font la manche » : si vous êtes comme moi, parfois vous donnez quelque chose, parfois rien. Pas de raison évidente, c’est selon l’humeur du moment. En fait, vous n’êtes pas vraiment libres de vos choix. Maintenant, supposons que vous appreniez, juste avant de croiser cette personne, que votre fin est toute proche, dans l’heure à venir, il est probable que vous donneriez beaucoup plus, peut-être jusqu’à votre chemise. Pourquoi ? Pas nécessairement de manière intéressée parce que vous voudriez bénéficier d’une bonne place dans le Paradis, mais peut-être de manière désintéressée, parce que vous vous diriez que vous n’avez plus rien à perdre…
Est-ce là ce que se sont dits nos deux veuves ? Celle que rencontre Elie est arrivée à la dernière mesure de farine. Celle qu’aperçoit Jésus a versé au Trésor « tout ce qu’elle possédait », ce qui ne saurait lui assurer une longue survie. Ainsi l’une et l’autre partagent la même situation : elles n’ont plus rien à perdre. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’agisse de la vraie raison de leur générosité : en fait, elles sont libres, libres vis-à-vis du monde et vis-à-vis d’elles-mêmes. Et elles tiennent cette liberté de leur confiance en Dieu, en son prophète et sa parole pour l’une, en Dieu lui-même pour l’autre à travers son Temple.
Frères et sœurs, la liberté de chacune de ces veuves prend sa source dans leur assurance que Dieu est là, bien présent à tout moment de leur vie. Il leur donne une vraie force, bien au-delà des moyens humains ou financiers. Elles n’ont pas mis Dieu dans une case, d’où elles le sortiront au moment de la messe dominicale, ou pour faire face à certaines difficultés : elles vivent avec lui, elles savent que leur vie dépend de lui. Il les rend libres par sa présence.
Par son incarnation et par sa résurrection, Jésus nous dit aussi qu’il est sans cesse avec nous pour nous rendre libres de toutes les contingences humaines : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Ce que rappelle la préface eucharistique n°6 de nos missels que nous réentendrons tout à l’heure : « dans l’existence de chaque jour que nous recevons de ta grâce, la vie éternelle est déjà commencée ».
Notre monde tend à gommer cette présence divine, en tout cas à l’éloigner le plus possible de nos préoccupations : on en parle peu ou plus. Et le développement technologique se met de la partie pour nous laisser penser que nous maîtrisons, ou allons tout maîtriser, un jour de notre existence terrestre : Dieu n’y aurait plus aucune place. C’est illusoire et surtout terrible, parce que nous n’allons pas y gagner notre liberté, mais notre esclavage. Et cela a déjà bien commencé si on regarde chez soi ou autour de soi !
Tous ceux de mes amis ou de ces personnes que j’ai rencontrés et qui ont fait cette expérience de s’être approchés du ciel, à partir d’expériences les plus diverses, témoignent que leur vie en a été changée : ils sont devenus libres. Ils ne troqueraient pas leur vie d’après pour celle d’avant, d’autant plus qu’ils savent désormais qu’il n’y en a qu’une. À l’exemple de nos veuves, ils sont prêts, au nom d’une liberté retrouvée, à tout donner à Dieu et à leurs frères, s’ils ne l’ont pas déjà fait à travers les expériences qu’ils ont vécues.
Frères et sœurs, Dieu avec nous, Emmanuel, voilà ce que nous fêterons à Noël, mais qui ne devrait pas se limiter au temps de Noël : le vivre au quotidien nous assure d’être libres, et libres de tout donner. Et tant mieux si cela se ressent à l’égard de ceux que nous rencontrerons dans la rue ou ailleurs !