Multitude de livres, multitude d’auteurs bien sûr, mais la question est plutôt de savoir si l’on peut assigner à chaque livre un seul auteur ? Si cela paraît impossible pour une œuvre comme le livre de la Genèse ou celui d’Isaïe, qui s’étalent manifestement sur plusieurs générations, on pourrait penser que les lettres de Paul par exemple n’offrent pas la même difficulté, qu’elles sont d’un unique auteur. En réalité, même pour celles-ci, plusieurs questions se posent :
Sont-elles vraiment d’une seule venue, ne sont-ce pas des « collages » ?
Les co-expéditeurs (Sylvain, Timothée etc.) ont-ils joué un rôle dans la rédaction ?
Et finalement, peut-on assurer que Paul en soit l’auteur, et non un écrivain postérieur se faisant passer pour lui ? On parle alors de pseudépigraphe (autrement dit, un écrit présenté sous un pseudo).
À une époque encore récente, confrontés à ces difficultés, les commentateurs attribuaient volontiers l’écriture à une communauté, ou un cercle de disciples. Aujourd’hui, beaucoup choisissent de se tenir à distance de la question pour se concentrer sur le contenu, essentiel quels que soient l’auteur ou les auteurs.
L’un des intérêts de la recherche et de l’attribution d’un auteur à un ou plusieurs livres est relatif à l’incarnation : par exemple la détermination d’évolutions chez cet auteur, une meilleure connaissance de son temps, la mise en relations avec d’autres auteurs bibliques ou non etc.
Où en est-on aujourd’hui ? Pour répondre, il faut distinguer Ancien et Nouveau Testament, qui ne sont pas logés à la même enseigne.
Dans l’Ancien Testament, la plupart des livres ne sont pas d’eux-mêmes attribués à un rédacteur et se présentent comme des épopées (voir plus haut) ou des histoires d’un grand témoin ou des collections : parmi beaucoup d’autres, Abraham, Jacob, Isaac, Moïse, Josué, Samuel, David, Salomon, les Juges, Job, Esther, les Prophètes, ou encore les Psaumes et les Proverbes. Seuls quelques livres ou parties de livres sont attachés un auteur ou un rédacteur précis : des cycles de psaumes attribués à David ou Salomon, le premier étant paré d’une réputation de musicien et le deuxième considéré comme le prototype du sage, l’Ecclésiaste à Qohélet, le Cantique des Cantiques à Salomon. C’est très peu et ces attributions n’ont aucune certitude : comme on vient de le noter à propos de David ou Salomon, elles sont le fruit de réputations. Quant aux recueils prophétiques, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel ou autres, leur rédaction est sans doute postérieure aux prophètes en question, et s’est peut-être faite au sein des écoles ou cercles qu’ils auraient pu constituer ; en outre, comme on le reconnaît aujourd’hui, certains recueils comme celui d’Isaïe peuvent être l’écho de plusieurs prophètes à des époques différentes (Is 1-39 ; Is 40-66).
La situation est assez différente avec le Nouveau Testament, même si, là encore, des œuvres peuvent avoir plusieurs auteurs, ou pas d’auteur affiché.
Commençons par les quatre évangiles : aucun nom de rédacteur/auteur ne figure au début de l’un ou l’autre, et les attributions bien connues sont dues à leur style (la qualité du grec de Luc par exemple, la dimension contemplative de l’évangile de Jean), leur orientation (la dimension juive pour Matthieu, le rôle important de Pierre pour Marc) pour ne citer que quelques critères. Mais la raison essentielle de ces attributions ressort des propos d’un écrivain postérieur, Papias d’Hiérapolis, tels que les rapportent Irénée de Lyon et surtout Eusèbe de Césarée : c’est dire que les informations sont tardives et sujettes à caution. Elles sont toutefois plus ou moins corroborées par les éléments internes aux évangiles, et c’est pourquoi elles ont été « sanctuarisées ».
Les treize lettres traditionnellement attribuées à Paul font depuis la fin du XIXe siècle l’objet de nombreuses contestations quant à leur auteur : si les Hébreux ne sont plus en course depuis longtemps et ne sont pas comptées parmi les treize, c’est aussi le cas des lettres dites « Pastorales » (I et II Timothée, Tite) et, pour de nombreux auteurs, de celles qu’ils qualifient de « Deutérocanoniques » (Éphésiens, Colossiens, II Thessaloniciens). Il ne reste donc plus, pour ces mêmes auteurs, que sept lettres « authentiques » de Paul : on verra en temps voulu que ce « dogme », aujourd’hui largement partagé, repose pourtant sur des bases bien fragiles.
Les lettres de Jean, Pierre, Jacques, Jude, voient aussi leurs attributions contestées, sans qu’il soit possible de leur trouver de meilleurs candidats. La lettre aux Hébreux enfin, qui ne se désigne aucun expéditeur pour la raison évidente qu’elle n’est pas une lettre, mais une homélie, est attribuée par beaucoup à Apollos (cf. Ac 19), sans que rien ne puisse définitivement confirmer ou infirmer cette proposition.
Enfin, l’Apocalypse est traditionnellement attribuée à Jean, dans le mesure où les versets 1 et 4 proposent une telle attribution : bien sûr, on pourra toujours dire que cette attribution est pseudépigraphique… Je vais y revenir.