Extension de l’empire romain
On trouvera sur un excellent site Internet suisse toute une présentation historique et économique du monde romain à l’époque d’Auguste, celle qui nous intéresse, premier siècle avant notre ère et premier siècle de notre ère. On pourra aussi consulter un site très personnel mais aussi très riche, consacré aux empereurs romains. Résumons très brièvement à partir de ces sites et de quelques autres lectures.
En 44, à la mort de Jules César, son neveu Octave n’a encore que 18 ans, Au travers de bien des péripéties, son histoire politique, au cours de laquelle il va devenir Auguste et instituer l’Empire, va couvrir toute cette fin de premier siècle avant notre ère jusqu’à sa mort en août 14. Tibère, son beau-fils mal-aimé, lui succède et terminera sa carrère en 37 pour céder le pouvoir à Caligula, un neveu, jusqu’en 41, à Tibère Claude, autre neveu de Tibère, jusqu’en 54, et enfin au fameux Néron, neveu de Caligula. Entre les mariages, les divorces ou répudiations, les morts subites, difficile de s’y retrouver dans cette lignée familiale, et le mieux est de se reporter au site des empereurs romains dont j’extrais cette carte :
Mais trois choses surtout nous intéressent concernant cet empire : son extension d’une part, son administration, spécialement au Moyen-Orient, ensuite, ses routes et villes d’autre part.
Il est fort clair que le « bassin méditerranéen » dont il est actuellement question est une « réalité romaine » : autant le pouvoir romain avait été contenu au-delà du Rhin, autant il s’était étendu sur tout le pourtour de la Méditerranée. Ce qui ne sera pas sans conséquences, comme on va le voir, sur le commerce et les moyens de communication.
Précisons toutefois dès maintenant, avant d’y revenir plus loin, que bassin méditerranéen est aussi, pour l’espace géographique où l’apôtre Paul a passé le plus clair de son temps (Judée, Syrie, Asie Mineure, Grèce), une « réalité hellénistique », où la culture grecque ancienne a dû laisser des traces. Il suffit pour s’en rendre compte de mettre en regard une carte de l’empire d’Alexandre à son apogée :
Administration de l’empire
Rappelons que depuis 27, l’empire romain a divisé les immenses espaces qu’il doit gérer en deux types de provinces : à la différence des provinces sénatoriales, gérées par le Sénat, les provinces impériales, les plus nombreuses, sont celles où stationnent les troupes et dont l’empereur se réserve personnellement le gouvernement. Mais les différences atteignent aussi l’administration : alors que les gouverneurs des provinces sénatoriales, appelés proconsul, ne bénéficient que d’un mandat d’un an du 1er juillet au 30 juin, parfois prorogé pour 2 ou 3 ans [1], les gouverneurs des provinces impériales, représentants de l’empereur avec des pouvoirs beaucoup plus étendus, ne sont pas nommés par l’empereur pour un temps déterminé, même si l’usage est de leur donner un mandat de 5 ans.
A l’époque de Paul, l’Achaïe (Corinthe), la Macédoine (Thessalonique), l’Asie (Éphèse), la Lycie-Pamphylie (Myra), Chypre (Paphos) et la Crète-Cyrénaïque (Gortyn), sont provinces sénatoriales, alors que le Pont-Bithynie, la Galatie (qui ne recouvre pas le vieux royaume galate [2]), la Cilicie, la Syrie sont provinces impériales. La Judée deviendra telle à son tour après 70 de notre ère.
Conséquence évidente de cette « sujétion » du monde de l’époque à Rome, voilà l’existence des colonies : à l’issue le plus souvent d’une victoire, les villes conquises par les troupes romaines sont confiées à des colons qui, après avoir reçu de larges terres, travaillent à la reconstruction et au développement de ces villes. C’est leur intérêt, bien sûr, mais c’est aussi celui de l’empire qui trouve ainsi de larges espaces à offrir à sa population, pas seulement ni même surtout romaine, et qui assoit sa domination : une ville comme Corinthe [3], largement détruite en 146 avant notre ère, sera rebâtie comme colonie peu avant notre ère, d’abord par des esclaves affranchis, puis par des grecs, enfin par des romains ; de la même manière, Philippes, détruite par des heurts entre armées romaines rivales en 42 avant notre ère, est confiée à des vétérans de l’armée qui vont en faire une cité vivante et riche à l’époque de Paul.
I. 2. 2. Les routes
L’administration romaine repose sur un fondement essentiel : les routes, ces fameuses routes romaines dont il reste encore maintes traces en plusieurs pays de nos jours. En Grèce, en Asie Mineure, en Syrie, sont mis en place de grands axes routiers entre les principales villes : ce sont probablement ces axes que saint Paul a empruntés lors de ses déplacements, négligeant les axes secondaires [4]. A tire d’exemple, voilà une carte reprise de l’ouvrage de Baslez, présentant en rouge les routes romaines, et en noir l’itinéraire probable du premier voyage de Paul (sur lequel on reviendra plus tard) :
Ce réseau routier favorise bien sûr le commerce, par exemple avec le grenier à grains de l’époque, l’Égypte, ainsi qu’une bonne gestion de l’impôt et de la présence militaire.
I. 2. 3. Les villes de Paul
En 1907, l’archéologue W. Ramsay [5] rédigeait un gros ouvrage sur « les villes de Paul », leur dimension religieuse, économique, politique : un tel ouvrage n’est pas encore surpassé. Il n’est pas question d’en rendre compte ici, mais de proposer quelques remarques.
Et d’abord, quelles sont les villes dont parle Paul dans ses lettres ? Nullement celle de Tarse, par laquelle Ramsay commence son étude, et qui n’est évoquée que dans les Actes des Apôtres. Non, dans le corpus paulinien, on trouve Antioche (2 occurrences, dont une fois en Ga), Cenchrées (Rm 16,1), Corinthe bien sûr (mais seulement à quatre reprises, dont 3 fois dans les lettres aux Corinthiens), Colosses (1 occurrence au début de la lettre qui est destinée à cette ville), Éphèse (5 occurrences, mais aucune en Éphésiens), Iconium en 2 Tm, Jérusalem (10 occurrences, dont 4 dans le chapitre 15 de Romains et 4 dans la lettre aux Galates),Lystres en 2 Tm, Rome (2 fois en Romains, et peut-être aussi une troisième fois en 2 Tm 1,17 [6]), Troas (2 occurrences).
En définitive, Paul parle peu des villes par lesquelles il a pu passer et il semble plutôt s’intéresser aux régions, ou plutôt aux provinces romaines telles qu’elles ont été définies plus haut : Achaïe (7 emplois), Asie (4 emplois), Cilicie (Ga 1,21), Galatie (3 emplois), Macédoine (12 emplois), Syrie (Ga 1,21). Un élément semble corroborer ce constat, le fait que Paul parle volontiers « des églises », expression qui revient à 14 reprises.
C’est donc l’évangéliste Luc qui met l’accent sur les villes, en particulier lors de la description des voyages de Paul, mais l’apôtre lui-même voit son ministère de manière plus globale, à l’échelle du monde romain. Cette distinction est d’autant plus intéressante que, dans l’ouvrage évoqué [7], Ramsay fait observer qu’un bon grec est intéressé en priorité par sa cité, à quoi l’attachent en particulier des obligations religieuses, beaucoup plus que par son pays : Luc semble pour une part correspondre à cette remarque, mais non Paul avec lequel il partage pourtant la même religion chrétienne qui devrait les tenir tous deux « à distance » de la cité. Comme le judaïsme de Paul ne saurait semble-t-il suffire à expliquer ce trait, il faut donc bien penser que l’apôtre a cette « universalité » dans le sang ou comme produit de son éducation.
Il reste bien sûr que ces villes, telles que Luc les évoque, ont pu et dû jouer un rôle dans son apostolat, qu’il y a résidé parfois longtemps : on pense à Antioche, Corinthe ou Éphèse. Et ce n’était pas des villages ou de gros bourgs : la ville d’Éphèse, dont Ramsay paradoxalement ne dit rien, nous a laissé des témoignages archéologiques impressionnants.
Incontestablement, et on peut y voir l’effet d’une naissance et sans doute d’une éducation en Diaspora, Paul pense et réagit non en « petit provincial » qui ne connaît que sa ville natale, mais bien en homme habitué aux larges horizons.
Notes :
[1] La question se posera à propos de Gallion, proconsul d’Achaïe, dont il est question en Ac 18.
[2] Ce qui soulève la question de savoir à qui s’adresse Paul lorsqu’il écrit aux Galates : à ceux du « Nord », autrement dit de l’ancien royaume galate, ou à ceux du « Sud », autrement dit de la province romaine. Des éléments de réponse seront proposés dans le cadre de l’étude suivie de Galates.
[3] J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de saint Paul d’après l’histoire et l’archéologie, Paris, Cerf, 1986.
[4] Telle est l’opinion de M. F. Baslez, Saint Paul, Paris, Fayard, 1991. Elle paraît légitime au regard de « l’urbanité » de Paul, mais D. French, s’il la suit pour ce qui concerne le premier voyage, la met en doute pour les deux suivants : il estime que Paul a alors délibérément évité les grands axes aujourd’hui connus, soit parce que certains d’entre eux n’existaient pas encore, soit par crainte d’une certaine hostilité romaine (D. French, « Acts and The Roman Roads in Asia Minor », dans The Book of Acts in Its Graeco-Roman Settings, vol. II, Grand Rapids, Eerdmans, 1994, p. 49-58). Cet avis, dont l’auteur souligne la fragilité compte tenu du manque d’informations sur le réseau routier réel de cette région, repose aussi de manière non explicite (l’auteur se contente d’évoquer Ancyre, l’Ankara d’aujourd’hui) sur l’idée contestée et contestable que Paul serait passé par la Galatie du Nord : en vérité, il me semble que l’usage, incontesté pour le premier voyage, de prendre les routes les meilleures, plus sûres et plus rapides pour le voyageur au long cours qu’était Paul, n’avait aucune raison de changer, lors des deux voyages suivants.
[5] W. Ramsay, The Cities of Saint Paul, 1907.
[6] Ici, il y a débat comme on pourra le voir dans le commentaire de cette lettre.
[7] op. cit. p. 90.