Homélie sur Sg 18, 6-9 ; He 11, 1-2.8-19 ; Lc 12, 32-48
Frères et sœurs, vous connaissez sans doute le bon mot de Pierre Dac : « quand on voit ce qu’on voit, quand on entend ce que l’on entend, on a bien raison de penser ce qu’on pense ». Tant il est vrai que l’actualité ne nous gâte pas, et ne nous laisse guère attendre un avenir meilleur. Dans ces conditions, l’espérance, « cette petite fille de rien du tout » comme la présentait Charles Péguy, a plutôt tendance à se cacher.
Mais c’est justement à ce moment et sur ce point que les lectures de ce jour doivent nous interroger, en particulier celle de la lettre aux Hébreux. A aucun moment, les grandes figures qu’évoque l’auteur, qu’il s’agisse d’Abraham ou de Sara et de bien d’autres, ne se sont appuyés sur ce qu’elles voyaient ou percevaient pour garder l’espérance et avancer dans leur vie : que les temps soient favorables ou pas, elles ont fait fond sur leur foi. Laquelle, nous dit l’auteur de la lettre, est « un moyen de posséder ce que l’on espère, et de connaître des réalités que l’on ne voit pas ».
Notre foi, tout comme l’espérance qui en procède, ne s’appuie pas sur ce que nous savons ou voyons, elle est fondée sur la résurrection de Jésus et sur rien d’autre. C’est parce que nous croyons que nous parlons, nous dit saint Paul (2 Co 4,13), mais aussi que nous espérons : nous attendons que se manifestent pour nous les effets de la résurrection de Jésus. Ainsi, la foi et elle seule fonde l’espérance, avant qu’à son tour, l’espérance fonde cette vigilance dont parle l’évangile : celui-ci nous parle du retour d’un maître, dont on peut penser qu’il est aimé, mais je pense aussi aux enfants qui attendent le retour d’un de leurs parents ou des deux avant de s’endormir.
L’espérance ne déçoit point, affirme saint Paul dans la lettre aux Romains. Et c’est là qu’elle diffère fondamentalement de l’espoir auquel on serait tenté de la comparer : l’espoir n’est qu’une projection dans le temps, mais une projection qui n’a pas ou peu de véritable assise. L’espoir est fragile, il déçoit souvent. L’espérance elle repose sur la résurrection de Jésus qui a eu lieu, et dont nous savons dans la foi qu’elle marque la victoire définitive de la vie sur la mort. L’espérance ne nous tourne pas vers un temps passé que nous voudrions faire renaître, ou vers un avenir incertain fruit de notre imagination, elle nous entraîne dans une attente patiente, en pleine vie, parce que nous savons qu’elle sera de quelque manière comblée. Je vais citer encore Charles Péguy : « L’espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera. Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera ».
Au risque de choquer, je dirais donc que l’espérance est une sorte d’assurance-vie, qui n’a coûté qu’à Jésus mais ne nous coûte rien à nous : elle est pure grâce, à la mesure de notre foi. Lorsqu’elle est présente, la foi l’est aussi et on comprend que Jésus puisse proposer à ses disciples de vendre tout ce qu’ils possèdent et de le donner en aumônes : ils sont invités à s’appuyer sur leur foi et non sur les biens qu’ils possèdent.
Nous sommes, frères et sœurs, dans la droite ligne de ces deux pages d’évangile qui nous ont été lues récemment et qui évoquent elles aussi, mais d’une autre manière, l’espérance : celle qui mettait en scène la pauvre veuve qui donne tout ce qui lui reste, et, a contrario, celle de dimanche dernier dans laquelle nous était présentée la figure du riche intendant qui faisait des plans sur la comète à partir de ses richesses en oubliant le Seigneur maître de la vie.
L’espérance, nous dit l’auteur de la lettre aux Hébreux, est une ancre de l’âme qui pénètre au-delà du voile, dans les cieux : attachons-là fortement à notre vie, à notre esquif, et nous traverserons toutes les tempêtes.
Bonsoir Frère Hervé,
il se trouve que mes pas de vacancier m’ont porté jusqu’au sanctuaire marial de Rocamadour. Quel paradoxe entre la fragilité de la « petite fille » Espérance de Péguy et la devise de ce sanctuaire : « L’Espérance, ferme comme le roc »! Mais fragilité et fermeté ne sont-elles pas les deux composantes de cette Espérance ou plutôt, cette dernière ne relèverait-elle pas d’une fragilité qui dure dans le temps, d’une fragilité qui aurait « la peau dure », en quelque sorte ? Cordialement, Philippe