Angoisse de mort et mondialisation

Angoisse de mort

L’angoisse est une donnée, dont la Bible nous laisse entendre que tout le monde la partage sans toujours se l’avouer. Pourquoi donc en effet Adam et Ève se sont-ils laissés berner par le serpent (Gn 3) ? Parce que l’interdit reçu de Dieu marquait pour eux une limite, et donc une forme d’impuissance génératrice d’angoisse. Pourquoi Caïn tue-t-il Abel ? Parce que, nous dit le rédacteur de Gn 4, son offrande n’est pas agréée par Dieu, et qu’il se heurte donc lui aussi aux limites de sa condition humaine. Il est possible de continuer en apportant bien d’autres exemples.

Oui, l’angoisse est constitutive de notre condition humaine limitée. Dans nos vies, nous cherchons à la maîtriser, ou même à l’oublier : je suis convaincu qu’une partie de notre insatiable activisme vise précisément à la mettre sous le boisseau, pour éviter qu’elle ne nous submerge. Dans un espace circonscrit, cette angoisse peut être plus ou moins cadrée : par le soutien des proches, par l’existence d’un bouc-émissaire bien défini, ou d’autres moyens encore. Mais dans un espace mondialisé, l’opération devient incontestablement plus difficile : un nombre infini de causes peut la faire surgir ou resurgir (la guerre, les épidémies, la pauvreté, les migrations etc.), les outils de communication la stimulent, les liens de proximité, trop distendus, n’aident plus à la gérer, moins encore à la dépasser. Chacun se retrouve seul, face à lui-même.

Très clairement, la cause d’angoisse la plus virulente, et donc celle que l’on s’efforce toujours le plus possible de cacher comme je viens d’ailleurs de le faire jusqu’à maintenant, est la mort ! Un réel développement économique, des innovations technologiques incessantes, l’éloignement des guerres, l’isolement des personnes témoins et gênantes (malades, handicapés, vieillards…) ont largement contribué à en effacer la menace et à chloroformer les consciences dans les pays dits développés : mais en fait, elle n’était jamais loin, simplement écartée de la vue ou enfouie.

Nous assistons, avec la pandémie, à son resurgissement inattendu, violent, et surtout mondial : impossible de détourner la tête, impossible de se voiler la face. Il faut donc affronter la mort. Ne nous étonnons pas que les personnels soignants soient au premier rang, ils ont une certaine habitude de ce combat. Ne nous étonnons pas que les obnubilés de la technologie ou de la consommation soient plutôt au dernier rang, et qu’ils aspirent à retrouver très vite leurs marques antérieures, ils ont beaucoup trop peur de la mort qui vient casser tous leurs hochets.

Le philosophe Pierre Manent confiait récemment dans une interview au Figaro que l’effacement de la mort correspondait à l’effacement des religions. Il est vrai en effet qu’elles ont toutes des choses à dire, parfois contradictoire entre elles, sur le sujet de la mort. Maintenant, en ce qui concerne le christianisme, il me semble qu’il a surtout quelque chose à dire sur le sujet du sens de la vie. Ce n’est pas sans raison, et sans conséquence pour toute l’humanité, que Jésus confiait à ses disciples : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14,6). Accueillir cette affirmation, en vivre, devrait contribuer à apaiser notre angoisse.

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