La vie a-t-elle pris la place du sacré?

La vie
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Olivier Rey, mathématicien et philosophe, m’était totalement inconnu avant qu’un ami me parle de son ouvrage « L’idolâtrie de la vie » (Gallimard, 2020). Je me suis donc procuré ce petit fascicule d’une cinquantaine de pages, que j’ai dévoré en un couple d’heures : avec un bonheur immense. Ce qui m’a conduit à essayer d’en savoir un peu plus sur l’auteur, pour découvrir qu’il s’agissait d’un écrivain déjà fécond, polytechnicien, membre du CNRS où il est passé de la section mathématiques à la section philosophie, bref une pointure !

L’ouvrage que je viens de citer est d’abord écrit en relation avec la pandémie que nous connaissons, mais il aborde plusieurs sujets qui conduisent l’auteur à montrer combien nous vivons un changement de civilisation. L’idée principale me semble être que la thématique de la vie, sous l’aspect particulier de la santé, est venue peu à peu, et de manière insistante depuis plusieurs années, remplacer celle du sacré, avec ses atouts et ses exigences : aussi, les instances administratives et sanitaires sont-elles devenues sacrées à leur tour, et donc le premier référent des citoyens dans la situation de crise que nous connaissons.

« Les particuliers se sont tellement habitués à s’en remettre pour chaque aspect de l’existence à un système qui les dépasse qu’ils attendent de ceux qui aspirent à les diriger qu’ils tiennent un discours de toute-puissance, quitte ensuite à rendre ses dirigeants responsables de toute la frustration » (p. 8)

N’est-il pas d’ailleurs frappant de constater que, sur les plateaux télé, on invite presque exclusivement des médecins et pratiquement pas de philosophes, d’éducateurs, de parents ? Lorsqu’enfin, on invite un philosophe, André Comte-Sponville par exemple, celui-ci délivre un discours très différent de celui des médecins, en soulignant qu’au lieu de laisser les parents ou grands-parents se sacrifier pour leurs enfants, on demande maintenant à ces derniers de se sacrifier pour leurs parents. Je cite ces propos du philosophe au cours d’une interview diffusée sur RTL le 7 septembre, on constatera plus loin combien ils consonent avec ceux d’Olivier Rey :

« La santé est un bien, ce n’est pas une valeur (…) Les valeurs, telles le courage, la justice, l’amour, voilà les valeurs suprêmes, c’est ce que l’on peut admirer, mais non pas envier (…) Ce que je crains, c’est le panmédicalisme qui fait de la santé la valeur suprême et tend à déléguer aux médecins la gestion de nos vies (…) Dans la solidarité intergénérationnelle traditionnelle, qui est asymétrique, les parents se sacrifient pour leurs enfants, beaucoup plus que les enfants se sacrifient pour leurs parents, et c’est normal« 

Olivier Rey montre lui, par beaucoup d’exemples, comment les transferts de responsabilité se sont effectués au fil du temps, par exemple sur l’éducation qui est devenue, après la seconde guerre, l’affaire d’un Ministère de l’Education, précédemment nommé de l’Instruction publique, au détriment de l’action des parents ou grands-parents. Je le cite :

« L’emprise étatique grandit, au fur et à mesure que parents, famille, communauté, adultes en général, désapprenaient à se sentir responsable de l’éducation des enfants qui devenait, pour ainsi dire, un monopole de l’institution scolaire (…) D’où cet apparent paradoxe : plus l’institution scolaire devient puissante plus elle devient impuissante (…) Pas un grand problème auquel nous soyons confrontés dont les experts ne déclarent que la solution passe par l’Éducation, ce qui veut dire en idiome contemporain, par l’école » (p. 15)

Mais je reviens pour terminer ce petit billet à la dimension sanitaire, dont Olivier Rey montre quelle place elle a prise dans notre société, au point d’être évoquée par les autorités à tous propos et comme point final de toute discussion. La vie est devenue sacrée, mais comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de toute vie, en particulier de la vie réelle des plus faibles, mais de la vie sous sa seule dimension sanitaire. Le constat de l’auteur est amer :

« Les opposants à telle ou telle industrie parviennent à obtenir gain de cause parce qu’ils ont réussi à montrer, après des décennies de lutte, son caractère nocif sur la santé humaine. Mais au fond, une telle victoire conforte davantage la dynamique générale qu’elle ne la remet en cause, en confinant la dispute aux considérations sanitaires » (p. 26)

Et je cite encore un dernier propos, en guise de conclusion d’un ouvrage passionnant, fourmillant d’interrogations opportunes :

« En tant qu’il commande un respect absolu, le sacré se trouvait anciennement placée au-dessus de la vie. C’est pourquoi il pouvait, le cas échéant, réclamer le sacrifice de celle-ci. Comment la vie en est-elle venue à prendre elle-même la place du sacré ? » (p. 31)

Une réponse à “La vie a-t-elle pris la place du sacré?”

  1. Merci ! à lire en effet. Je verrai s’il est fait écho dans cet ouvrage du sentiment que ce n’est pas toute la vie, jusque dans son mystère, qui est – effectivement et c’est bien vu – placée au-dessus du sacré, mais plutôt celle de l’agent économique, producteur et consommateur.

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