Au moment où j’écris ces lignes, les évêques de France sont encore réunis à Lourdes avec, entre autres tâches, celle de se mettre d’accord sur la bonne manière de communiquer, entre eux et vers l’extérieur. Très généralement, car la question touche tous les cercles et communautés, qu’ils ou elles soient religieuses, politiques, économiques, et elle se pose ainsi : peut-on « garder le secret » ? Au plan religieux, depuis longtemps dans certains milieux, elle interroge la question de la confession. Mais maintenant, sur ce même plan religieux, elle s’exprime sous une nouvelle forme : « doit-on, et peut-on, laver son linge sale en famille » ?
Je laisse de côté la confession, qui reste un dialogue privé, et je m’en tiens à la question du linge sale qui vient sur le devant de la scène au travers de plusieurs types d’abus. La réponse ne va pas de soi, de quelque côté qu’on la prenne. Certains diront que les moyens d’investigation et de communication actuels rendent « le secret » impossible, et que la question qui se pose tourne plutôt autour de la communication, de son mode autant que de son contenu. D’autres feront remarquer que l’aspiration à la « publicité » et finalement à la transparence, parfois qualifiée de totale, est une lubie et un danger pour toutes les communautés, qu’elles soient conjugales, religieuses, politiques ou autres : elle génère soupçons, jalousie, méfiance etc.
Je viens d’employer le mot méfiance, parce que je crois qu’il dit bien le fond du problème. Ce qui est brisé aujourd’hui, c’est la confiance, dans les paroles comme dans les actes. Cette méfiance naît de l’absence d’une ligne claire de la part de ceux à qui l’on est précisément invité à faire confiance en tant qu’ils sont nos « représentants » : je pense à tous les responsables, en particulier politiques et religieux. Le discernement est incontestablement délicat, et le résultat est là : devant la difficulté qu’ont ces responsables à discerner l’avenir, à tracer une ou des lignes de conduite ouvrant des perspectives sinon à court terme, au moins à moyen terme, ils sont enclins à biaiser, à tourner autour du pot, à minimiser comme à maximiser. Mais quelle confiance ensuite accorder à leurs propos et à leurs promesses ? Et finalement à leur parole comme à leurs actes ?
Alors, faut-il bannir le secret ? J’en ai dit plus haut le risque. Ne faut-il pas plutôt travailler à restaurer la confiance ? Bien des responsables auxquels on peut penser y travaillent, et l’on ne peut que s’en réjouir. Le « secret » de leur « bonne conduite » demande au moins trois qualités : le discernement pour mesurer ce qui doit être dit et… taire ce qui doit être évidemment tu, la confiance faite à d’autres pour aider à ce discernement (dans l’Eglise catholique, je pense bien sûr aux laïcs de tous bords), et in fine l’audace pour dire quand il faut dire, le bien comme le mal (1).
(1) Dans le livre « Le management selon Jésus » (Paris, Cerf, 2021), que j’ai co-écrit avec Florian Mantione, nous appelons cela « l’assertivité ».