Tout récemment, dans une famille amie, une jeune fille qui allait avoir 19 ans s’est suicidée. Si je signale ce douloureux événement, c’est qu’il est loin d’être isolé. Depuis que j’en parle autour de moi, plusieurs me signalent des suicides plus ou moins analogues, en tout cas dans la même tranche d’âge. Comme s’ils se multipliaient ! Et sur le site adozen.fr, on peut lire :
« Un jeune sur quatre est en situation de mal-être psychique (…) Une situation à prendre très au sérieux surtout quand on considère le nombre de suicides par an chez les jeunes (entre 10000 et 11000).«
Le site me semble donner un chiffre erroné, prenant plutôt en compte l’ensemble des suicides en France estimé ailleurs à 9200, mais la proportion de jeunes y est importante et croissante. La question reste : la croissance des suicides chez les jeunes, incontestable, est-elle un phénomène nouveau, propre à notre époque ? Je ne sais pas. Mon sentiment très spontané, et que des études statistiques contrediraient peut-être, est d’une part que nombre de ces suicides se situent à un âge crucial, au sortir de l’adolescence, alors que chacun cherche un sens à donner à sa vie et peine souvent à le trouver. Mais d’autre part et surtout, que la communication surabondante que réservent les réseaux sociaux, revues et journaux, aux guerres, meurtres, abus et méfaits de toutes sortes, ne facilite guère aujourd’hui une vision positive de l’avenir du monde. Elle contribue à générer une désespérance et une énorme anxiété dont la « frénésie smartphonique » me semble un signe.
A l’époque d’Internet, il ne semble donc pas qu’il fasse bon vivre sur notre terre ! Le sens de la vie, et le don qu’elle représente et que l’on cherche habituellement à « faire fructifier », se perd. N’est-il pas symptomatique de voir en France le taux de fécondité baisser fortement, et d’entendre des parents de plus en plus nombreux s’en expliquer par la peur que génèrent des mises au monde ? En ligne sur le site d’Europe I, je lis ceci :
« Au premier semestre 2023, 334.000 bébés sont nés sur notre territoire, 25.000 de moins qu’en 2022 sur la même période. Une tendance inquiétante pour les démographes. Ce sont les pires chiffres depuis l’après-guerre. » Et plus loin : « En dix ans, le taux de fécondité est passé de 2 enfants en moyenne par femme à 1,8. Les jeunes couples français ne font plus deux voire trois enfants, mais un enfant. Une décision appuyée par le manque de confiance en l’avenir : le contexte sanitaire, économique et écologique peut faire partie des explications« .
Comme beaucoup d’autres, la jeune fille dont je parle a choisi de fuir cette vie. Peut-être, si elle est croyante, espérait-elle en trouver une autre, qui lui donne sens. L’ami que je suis, et qui lui est prêtre et… croyant, est sûr que, dans cet autre monde, son espérance sera réalisée.
D’une amie enseignante, confrontée elle aussi aux suicides de jeunes gens, je reçois ce message :
« Le terme de désespérance est celui que j’entends de mes élèves parfois. Trois anciens élèves se sont suicidés ces 3 dernières années .
Nous sommes conscients de la gravité du sujet et inquiets car souvent ils « donnent le change » et nous ne voyons pas leur souffrance.
Au lycée je marche sur des œufs car j’ai plusieurs élèves de première et terminale très fragiles, filles et garçons … les accompagner tout en les aidant à regarder la vie et le monde avec confiance est un exercice très difficile : mes élèves, de catégories sociologiques professionnelles favorisés mais pas uniquement, sont vulnérables car ils ont perdu beaucoup de repères, vivent à travers leurs écrans, sont la cible de la violence pornographique qui déshumanise l’affectivité, subissent de plein fouet le matraquage idéologique de la pensée majoritaire ambiante qui est au fond tout à fait nihiliste, et n’ont pas les moyens de prendre le recul nécessaire. De plus en plus vulnérables et sans espérance la mort est pour eux la seule voie de « sortie » pour fuir le vertige de vivre… Je ne suis pas sure que ce soit la vie qu’ils fuient, mais la solitude et l’angoisse du monde que nous avons créé pour eux….. et cela c’est presque pire.
C’est assez effrayant pour nous aussi car objectivement le monde va mal et on ne peut pas se cacher derrière une espérance qui serait perçue comme de la naïveté et donc discréditée d’office. La question est comment les rejoindre, les consoler et les aider à repartir et croire en la vie et leur redonner foi en elle a défaut d’avoir foi en Dieu ?