Frères et sœurs, la sécurité est à l’ordre du jour : sécurité sociale, sécurité dans les transports, dans les banlieues, dans les investissements, dans les carrières professionnelles, dans les opérations chirurgicales, et j’en oublie. Elle n’a sans doute jamais été autant demandée, voire exigée, au point que l’aléa, le manque, l’imprévu, ou a fortiori l’échec, sont des réalités non seulement angoissantes, comme elles l’ont toujours été, mais choquantes et que l’on voudrait dépassées. Ceci suscite en moi une question, un peu provocatrice : cet accent démesuré mis sur la sécurité n’est-il pas proportionnel au désintérêt que notre société manifeste pour Dieu et sa présence?
Comprenez moi bien : je ne viens pas vous dire qu’il faille oublier toute recherche de sécurité, par exemple qu’il faille mettre fin à la sécurité sociale, excellent système de redistribution lorsqu’il est respecté, ou prendre n’importe quel risque sous n’importe quelle condition, mais je me dis que la volonté d’éliminer ou de maîtriser tous les risques procède du désir d’une toute puissance que seul Dieu possède en vérité. Autrement dit, à trop vouloir la sécurité que l’on se forge, on en oublie celle que Dieu donne. Les deux veuves dont il vient d’être question dans nos lectures ne l’ont pas oubliée : si elles n’avaient eu d’autre souci que leur sécurité, la veuve de Sarepta n’aurait pas donné au prophète Élie en ce temps de famine le peu de farine qui lui restait, pas plus que la veuve présente au Temple n’aurait mis dans le tronc deux piécettes, autrement dit « tout ce qu’elle avait pour vivre » aux dires de Jésus. Ces deux veuves étaient convaincues de trouver en Dieu leur vraie sécurité.
Considérez Jésus lui-même : si lui aussi n’avait eu en vue qu’une sécurité toute humaine, il n’aurait pas pris le chemin qu’il a pris, il n’aurait pas nettoyé le temple de ses vendeurs, il n’aurait pas affronté les grands prêtres et les scribes, il n’aurait pas guéri des malades le jour du sabbat, bref, il n’aurait pas fait tout ce qui ne pouvait que le conduire à la mort. Et à Gethsémani, lorsque ses disciples l’ont abandonné, lorsqu’il est vraiment seul, il ne fait pas le calcul des pertes et profits que peut faire naître le don de sa vie, non, il prend seulement, en toute confiance, le chemin que lui indique son Père. Il fait le choix de la volonté du Père, d’espérer contre toute espérance, et il se manifeste alors pleinement homme et Dieu.
Notre vie à nous aussi, frères et sœurs, est pleine de risques, à tout instant : il est normal que nous essayions de les diminuer ou de les minimiser, mais il est tout aussi important de se souvenir sans cesse que cette vie repose ultimement dans la main de notre Père des cieux. Le Seigneur, par les voix de tout un tas d’anges, nous parle et nous appelle plusieurs fois par jour à son service : pour le prier, pour pardonner, pour le suivre dans une vie consacrée ou dans le mariage, pour venir en aide à nos frères, peut-être même pour lui donner notre vie. Ne cherchons pas d’abord à savoir de quelles assurances nous disposons pour répondre à son appel. Lorsque les amis sont loin, lorsque toutes nos béquilles humaines nous sont enlevées, lorsqu’il faut faire à Dieu le don de quelque chose de sa vie, ou même de sa vie entière, au prix d’un grand saut de la foi, souvenons-nous que Dieu lui est encore là, plus présent que jamais dans nos vies.
Rappelons-nous l’exemple de ces veuves : je ne sais pas, il est vrai, ce qu’il est advenu de celle qui s’est rendue au temple, mais je sais que celle de Sarepta a eu ensuite de la farine à profusion pour elle et son enfant. Ces deux veuves, à l’exemple de Jésus à Gethsémani, avaient une assurance et une seule : celle de la présence du Seigneur avec elles, l’Emmanuel, et elles l’ont justement préférée à toutes les assurances de la terre