Frères et sœurs, depuis le début de l’Avent, dans les chants comme dans les lectures, on ne cesse de nous le répéter : le Seigneur vient, il est venu, il reviendra ! Tant mieux, mais je me demande si quelques-uns d’entre nous, et beaucoup plus encore autour de nous, ne vont pas dire : montrez-le nous ! Comment dire aux inondés du Bangla-Desh, aux chômeurs de longue durée, aux mal ou non-logés de chez nous, à la suite du prophète Isaïe : « Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver » ? Ou bien, avec Jacques : patience, un mot qui revient à trois reprises chez l’apôtre, cela va venir ? N’y a-t-il pas déjà deux mille ans qu’on attend ?
Face à de tels soupçons, je vois au moins deux réponses. La première vient d’une certaine lecture de l’évangile : savons-nous voir le Seigneur qui vient ? A Jean-Baptiste qui lui pose la question : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? », Jésus répond : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boîteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ». Jésus n’emploie pas de futurs, notez-le bien, mais des présents, invitant les disciples de Jean, et nous invitant nous-mêmes à regarder le monde autrement, dans la foi, avec l’universalité du regard qui s’impose en christianisme.
Aujourd’hui, en ce moment même, c’est vrai, des enfants meurent de faim, des hommes et des femmes souffrent de violences, de guerres, de maladies, et c’est insupportable, et nous devons prendre tous les moyens de leur venir en aide ; mais aujourd’hui aussi, en ce moment même, des enfants naissent, des hommes et des femmes se réconcilient ou sont guéris, Dieu donne sa grâce, et l’on oublie trop souvent de le dire et de l’en remercier. Vous le savez, il est des publications et revues qui aiment parler des seuls chiens écrasés, et d’autres qui savent évoquer tout ce qu’il y a de beau dans notre monde : ce n’est pas de l’inconscience, mais un équilibre nécessaire du regard.
Cette réponse ne suffira pas, bien sûr, à ceux qui, en ce moment même, souffrent, peinent, attendent. Et je crois qu’il faut oser une autre réponse, peut-être provocatrice, qui m’est suggérée par la magnifique réflexion que le pape Benoît XVI vient de consacrer à l’espérance. Le pape y explique entre autres choses que la crise de foi de notre humanité est d’abord et avant tout une crise de l’espérance, que nous réduisons trop souvent à des attentes mondaines, souhaitables ou grandioses comme on voudra, mais trop mondaines. Benoît XVI prend l’exemple de l’espérance du progrès, qui engendre toujours plus de déceptions et dans laquelle la foi ne joue finalement qu’un rôle mineur ou nul. Nous avons donc l’espérance d’un « mieux » humain, mais, pour reprendre les termes de notre pape, « la vraie, la grande espérance de l’homme, qui résiste malgré toutes les désillusions, ce peut être seulement Dieu – le Dieu qui nous a aimés et qui nous aime ».
Concrètement, cela veut dire que la venue du Seigneur doit certes nous conduire à manifester plus de charité, plus d’humanité, mais que ces progrès ne sont pas la mesure de la venue du Seigneur. D’une certaine manière, le Christ nous a prévenus lorsqu’il a dit à ses disciples : « les pauvres, vous les aurez toujours avec vous » (Mt 26,11). Ce n’est donc pas parce que l’humanité est plus joyeuse, plus solidaire, plus paisible, que le Seigneur vient, mais parce qu’il vient que l’humanité peut être ou devenir tout cela. Notre espérance est plus haute, elle va plus loin et c’est elle qui nous pousse à dire : comme tu es déjà venu, viens encore, Seigneur Jésus, dans nos cœurs, dans nos célébrations, dans nos vies, sur toute notre terre. Règne sur nous : alors, oui, le monde sera profondément renouvelé, les aveugles verront, les boîteux marcheront, les sourds entendront et les muets crieront.