Faut-il encore parler du démon aujourd’hui ? Certains théologiens s’y essayent, les « communautés nouvelles » y font souvent référence, mais nos contemporains sourient : pour eux, il s’agit au mieux d’un héros de bandes dessinées (souvenons-nous de Tintin, dans lequel le chien Milou a même son équivalent démoniaque) ! Le grand romancier chrétien C. S. Lewis, dans Tactiques du diable, ouvrage toujours très recommandable, a pourtant bien prévenu que le démon n’est jamais aussi dangereux que lorsqu’il parvient à se faire oublier. Et la Bible, prudente sur le sujet, se garde pourtant bien de négliger celui qu’elle appelle le Tentateur, l’Adversaire, le Diable etc.
Je n’ai jamais rencontré le démon face à face et ne saurais donc en parler de manière claire et assurée, mais je me garderai moi aussi d’en conclure à son inexistence. En fait, depuis fort longtemps, je me dis qu’il existe un moyen par lequel il se manifeste sans cesse dans notre monde, c’est celui de la peur. Celle-ci a partie liée avec notre monde depuis les origines. Souvenons-nous, au jardin de la Genèse, juste après le péché : « j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché » (Genèse 3,10). Peur de Dieu, mais aussi peur de l’autre, tentations, relation d’amour et de fraternité faussée : Adam et Ève se cachent l’un de l’autre avec des pagnes, mais voici aussi et surtout l’histoire de Caïn et d’Abel dans le chapitre 4 qui suit au livre de la Genèse. Il n’est plus question du serpent, mais son poison est bien là, il accomplit son œuvre de mort !
Pour l’auteur de la Genèse, il est clair que ce qui fut aux origines a une valeur durable : le monde dont il nous parle est désormais infesté par la peur et ses diverses manifestations. Il n’est donc pas étonnant que les disciples et les personnes autour de Jésus manifestent à plusieurs reprises leur peur, ni non plus que Jésus se dresse comme un rempart contre cette peur : « n’ayez pas peur ! » (Matthieu 8,26 ; 17,7 etc.). Dans cette ligne, le pape Jean-Paul II a repris lui aussi une telle exhortation.
Je ne vais pas faire un cours de théologie sur la peur, sur son lien avec le péché, sur la différence avec la « crainte » de Dieu, elle tout à fait honorable, et que sais-je encore. Je constate seulement que, dans la Terre Sainte où je vis actuellement, la peur est omniprésente, de manière évidente ou cachée : pourquoi construire un mur sinon poussé par l’aiguillon de la peur ? Quelle image, moi y compris, se fait chacun du « Juif » ou de l’Israélien, de « l’Arabe » ou du Palestinien ? Et inversement du « Chrétien », souvent considéré a priori comme un « occidental » ? N’ai-je pas appris aujourd’hui qu’une chaîne de télévision israélienne venait de se moquer ouvertement, dans des sketches grossiers, de la religion chrétienne ? Quelle connaissance a-t-on de cet autre que l’on croise sans cesse, mais que l’on ne regarde jamais ? La peur est là, tapie, brisant les liens, ou empêchant qu’ils se forment. L’autre est « autre », ce n’est pas un drame, ni un risque, mais une chance !
« Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1 Pierre 5,8).