Un buisson qui brûle sans se consumer, voilà qui a toujours attiré l’attention, et parfois l’ironie, des lecteurs de la Bible : le récit d’Exode 3,1-8 serait-il l’évocation d’un tour de magie ? Cette question n’est pas celle qui me retient ici : je vois dans le texte évoqué la révélation à Moïse d’un Dieu qu’il est difficile d’approcher (« je vais faire un détour », v. 3, suivi d’un « n’approche pas d’ici », v. 5), mais qui attire et se révèle dans une présence qui brûle le cœur et que l’on voudrait toujours garder près de soi. Mais dont nous sommes invités, comme Moïse, à être les témoins.
Avec le récit de l’Exode, nous sommes dans les tout débuts de l’Ancien Testament. Avec la manifestation de l’ange du Seigneur à Marie lors de l’Annonciation de Jésus (Luc 1,26-38), nous sommes dans les tout débuts du Nouveau : il n’est certes pas question directement de feu dans notre passage, mais simplement de la puissance protectrice de Dieu, à l’ombre de l’Esprit-Saint (v. 35). Mais à la vérité, le thème de l’ombre, et bien sûr originellement le verbe grec utilisé, évoquent la divine et lumineuse présence de Dieu en Exode 40,38. C’est donc bien encore d’une présence de feu dont il s’agit et les Pères de l’Eglise ne s’y sont pas trompés qui ont donné à Marie le titre de « buisson ardent » ; ainsi, parmi beaucoup d’autres, Grégoire de Nysse : « Ce qui était préfiguré dans la flamme et dans le buisson fut manifesté ouvertement dans le mystère de la Vierge. Comme sur le mont le buisson brûlait mais ne se consumait pas, de même la Vierge mit au monde la lumière mais ne se corrompit pas» (Orario in diem natalem Christi).
Et voici qu’il va être à nouveau question de feu dans l’évangile de Luc, tout à fait à la fin, dans la rencontre de Jésus avec les disciples d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous quand il [Jésus] nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Ecritures ? » (24,32). Mais alors que brûlait « le cœur de Dieu » dans l’Exode, et le cœur de Marie habitée par l’Esprit au début de l’évangile de Luc, le cœur qui brûle et témoigne de la présence divine est désormais le nôtre, comme un témoignage que Dieu laisse aux hommes et qu’il les charge de répandre. Qu’ont d’ailleurs fait les disciples d’Emmaüs ? Écoutons la suite de l’évangile : « Eux de raconter ce qui s’était passé en chemin » (v. 35).
Aujourd’hui, et le mot dans son ambivalence est intéressant, c’est à chacun de nous que le « témoin » est transmis ! Quels que soient nos moyens, simplement parce que le feu nous habite et qu’il est prêt à se répandre.