La paix les yeux ouverts

« Mon » journaliste préféré ici, Gideon Levy, dont j’ai souvent parlé sur ce blog, évoquait tout récemment dans le journal Haaretz, la nouvelle situation d’un principal de collège israélien, qui entretenait ses étudiants de la discrimination opérée à l’égard des Palestiniens : cette discrimination n’a rien de nouveau, elle était devant ses yeux depuis des années, elle l’aveuglait et c’est peut-être pour cette raison qu’il ne l’avait encore jamais vue comme il la voyait maintenant, au point d’en être profondément dérangé et de vouloir aider les autres, les plus jeunes, l’avenir du pays, à voir à leur tour ! La suite de l’article ne disait pas si son entreprise fut couronnée de réussite, elle rapporte simplement les innombrables vexations, reproches, prises à partie que rencontre maintenant ce principal.

En lisant cet article, je repensais à tout ce que la Bible dit de la vue, aux reproches adressés par les prophètes au peuple qui ne veut pas voir, par exemple à travers les propos du prophète Jérémie : « Écoutez donc ceci, peuple stupide et sans cervelle ! Avec leurs yeux ils ne voient rien, avec leurs oreilles ils n’entendent rien ». Quand on « regarde » les textes bibliques de plus près, on découvre que « ne pas voir » est le propre des idoles : « elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas » (Psaumes 115,5 et 135,16).

A l’inverse, le prophète est décrit à plusieurs reprises comme un voyant : « Autrefois en Israël, voici ce qu’on disait en allant consulter Dieu :  » Allons donc chez le voyant « , car au lieu de  » prophète  » comme aujourd’hui on disait autrefois  » voyant  » (1 Samuel 9,9). Le prophète, comme le souligne l’étymologie de ce mot, est certes d’abord celui qui porte la parole de Dieu, mais cette parole a ceci de particulier qu’elle manifeste ou dévoile des réalités que l’homme ne voit pas. Quel est donc le veilleur, dont le Nouveau Testament fait aussi grand cas (Matthieu 25,13 et 26,41 avec les parallèles), sinon celui qui garde les yeux ouverts quand les autres les ont fermés ?

Il y a beaucoup de choses que nous tous nous voyons, il en est beaucoup plus encore que nous ne voyons pas. En particulier toutes celles qui pourraient déranger nos habitudes ou notre confort, qui viendraient nous remettre en question, nous obliger à renouveler notre jugement. Et qui pourraient aussi nous obliger au témoignage, quoi qu’il en coûte, à l’exemple de ce principal dont Gideon Levy nous parle. Puisse Dieu par sa parole nous ouvrir les yeux et, pour cela, nous donner son Esprit afin qu’à l’exemple d’Étienne, le saint patron du lieu où je vis, nous puissions voir ce qu’il est si difficile de voir : « Tout rempli de l’Esprit Saint, il fixa son regard vers le ciel ; il vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. » (Actes des Apôtres 7,55)

Dans le pays où je vis, il y a beaucoup d’yeux fermés de tous côtés, et c’est terrible parce que la paix, don de Dieu, demande une très bonne vue, une vue claire de la situation de chacun, et ne peut donc advenir qu’entre ceux qui ont les yeux ouverts.

P.S. Je suis conscient de ce que ce billet pourrait paraître contredire le suivant, Intimité, dans lequel je mets en cause la vue. Mais la vue dont il s’agit ici, dans ce billet sur la paix, n’est pas la vue technicienne, celle qui s’impose et qui contraint, mais bien la vue prophétique, celle qui traverse les éléments, les relit et les relie, les interprète. Le prophète est un voyant, mais un voyant d’un autre genre que celui de la société technicienne, et c’est pourquoi il est aussi, c’est absolument lié, un porte-parole.

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