Les Amish auraient-ils raison ?

Beaucoup de mes lecteurs doivent avoir entendu parler des Amish, cette « société » anabaptiste d’Amérique du Nord, vivant à l’écart de la société moderne dont elle refuse en particulier les évolutions techniques. C’est à eux que je pensais ce matin en lisant un article de journal dénonçant les méfaits des outils de communication modernes, en particulier les téléphones portables de toutes sortes, dans le monde médical : il paraît que ces outils ont en effet envahi jusqu’aux salles d’opérations des hôpitaux, risquant de faire tomber l’attention due aux malades…

Je ne sais ce qu’il faut penser du cas précis, je crois toutefois que le problème dépasse le cas des personnels hospitaliers et nous met devant un constat valable pour de multiples personnes et en de multiples lieux, y compris pour le signataire de ces lignes : la dictature de l’instant sur le temps. C’est une banalité de le rappeler, mais, dans la tradition (biblique) grecque, il existe deux mots pour évoquer le temps : le terme chronos, qui évoque le temps qui dure et que l’on mesure, souvent comme un poids, et celui de kairos, qui évoque l’instant, le moment favorable, et qui rend souvent compte des interventions de Dieu dans l’histoire. Car si Dieu est le maître du temps en général, il l’est tout spécialement du kairos, qui représente le temps de sa visite.

Dans notre société moderne, il me semble que l’on tente de nous faire croire que nous sommes maîtres du temps, et en particulier justement de ces kairoi qui seraient désormais le fait de ces outils de communication : tout devient urgent, tout appel téléphonique, tout message électronique manqué ou retardé se présente comme une catastrophe, un moment favorable perdu. Ainsi notre temps ne serait plus qu’une succession de kairoi, et nous pourrions ainsi échapper à la lourde présence de ce chronos qui marque nos vies et les rythme en profondeur.

Terrible illusion, source d’amertume sans fin : le temps ne nous appartient pas même si la technique déploie tous ses artifices pour nous faire croire le contraire. Et le chronos a sa grandeur et sa nécessité que le kairos n’offrira jamais. Pensez à ce qui se passe dans l’amour ou l’amitié : bien sûr, il y a les commencements, l’éventuel « coup de foudre », ou bien encore telle ou telle « reprise » que l’on peut assimiler à des kairoi, mais cela n’est qu’un début, une accroche ou un fruit passager ; le véritable amour, la véritable amitié se prouvent dans la durée et ont besoin duchronos pour se déployer et se vérifier.

Il est temps, à l’aube de cette année 2012, de se retrouver et de retrouver les autres. Allez vivre quelques jours, une semaine par exemple, dans une quelconque retraite, sans votre ordinateur ou sans votre téléphone portable, suivez quelque temps la voie des Amish, au moins sur ce point particulier, et vous n’aurez pas seulement l’impression d’avoir décroché du monde, mais aussi que la vie n’a plus de goût. Eh ! oui, vous êtes dopés à l’instant, à l’urgence, et le temps qui passe, ce fameux chronos, reprend le dessus, et vous en êtes tout chose. Mais quel est donc cet instant qui vous échappe ? Est-il vraiment signifiant ? Le chronos qui s’impose n’est-il pas le véritable tissu de la vie ? Cette amertume que vous ressentez n’est-elle pas celle du drogué qui n’a pas reçu sa dose ? N’est-il pas temps de revenir au… temps normal, de l’accueillir comme ce qui vous constitue en vérité ?

Et de laisser Dieu plutôt que l’outil de communication choisir les kairoi qui lui conviennent et qui, justement parce qu’ils viennent de lui, vous conviendront ?

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