Jacques Ellul (1912-1994) et l’invasion technologique

Devant animer prochainement une retraite d’une journée devant un large public, confronté comme chacun de nous aux embarras et difficultés de notre monde occidental, je pense évoquer brièvement au cours d’un de mes trois entretiens la figure de Jacques Ellul, sociologue et théologien protestant : et je suis presque certain qu’il ne se trouvera pas cinq personnes pour savoir de qui je parle. Sans doute parce que nous sommes en France et qu’il est ici marqué par un engagement théologique qui l’a marginalisé : aux Etats-Unis, où on le connaît d’abord comme analyste de la société technologique, et où son engagement spirituel ne représente pas un péché originel, il en va différemment. Dommage pour les Français !

Je l’ai d’abord connu indirectement par l’un de ses livres, une extraordinaire réflexion sur la vue et la parole intitulée La Parole humiliée : je n’ai jamais oublié ce livre dans lequel l’auteur souligne la dimension immédiate, globale et finalement trompeuse du « voir », très lié à cette société technicienne qu’il n’a eu de cesse de dénoncer tout au long de sa vie, face à la dimension temporelle, incertaine et finalement plus proche du vrai qui est celle du « parler ». On dira que c’est très protestant, très marqué par Kierkegaard, mais c’est surtout à mes yeux très perspicace et profond au point qu’on ne se débarrasse pas facilement de son diagnostic.

Je l’ai croisé ensuite une fois, par hasard, dans une clinique protestante de Bordeaux où il venait d’être opéré et dont j’étais alors l’aumônier : j’étais jeune et intimidé, ce fut très bref.

Je le retrouve aujourd’hui sur ma route, avec l’un de ses fidèles supporters, Jean-Luc Porquet, auteur de l’ouvrage « Jacques Ellul, l’homme qui avait presque tout prévu » (Le Cherche Midi, 2003). Porquet décrit et résume vingt thèmes, on pourrait tout aussi bien dire vingt thèses, qu’Ellul a proposés tout au long  d’une vie consacrée à réfléchir sur la Technologie (un grand T parce qu’Ellul y voit une sorte de puissance autonome que plus personne ne maîtrise et qui dicte aux hommes leur conduite), et dans lesquels il s’est montré non seulement un analyste très fin, mais plus encore un « anticipateur ».  Et tous ceux qui se plaignent de la dureté et de l’incohérence d’un monde occidental qui’ils voient, non sans raisons, se mordre la queue, devraient parcourir cet ouvrage : ils en seront éclairés.

Mais ce ne devrait être qu’un étape : ils chercheront sans doute ensuite à découvrir d’autres pans de l’oeuvre directement chez l’auteur. Jacques Ellul, n’oubliez pas ce nom !

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