L’actualité française, ou ce que l’on nous présente comme telle, ne cesse de titiller ceux qui revendiquent une conscience catholique : après la question du mariage, celle de la fin de vie, et bientôt sans doute la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui. Dans le battage médiatique qui accompagne, ou même éventuellement provoque cette actualité, il est à peu près certain que les sondages vont avoir une bonne place, et ils montreront sans aucun doute qu’il est urgent de changer quelque chose, que les forces de « progrès » le demandent, que bon nombre de catholiques sont en faveur du dit progrès etc.
A aucun moment, on ne se demande ce que peut être le progrès et, plus encore, ce que ce que peut signifier profondément « être catholique » : suffit-il de le revendiquer ? Plus profondément encore, on ne s’étonne plus d’une chose qui aujourd’hui ne cesse au contraire de m’étonner : le manque de cohérence dans l’appréciation de ce progrès. Je m’explique.
Une grande partie de nos sociétés « évoluées » ont fait disparaître de leur arsenal répressif la peine de mort : je m’en réjouis, les sociétés en question refusent de s’arroger le droit de tuer froidement et reconnaissent implicitement ou explicitement toute vie humaine comme « sacrée ». Et je regrette infiniment qu’il ait fallu tant de temps à la société française comme à l’Église catholique [1] pour accepter ce fait, et qu’une grande nation largement chrétienne comme les États-Unis le refuse encore, au moins en plusieurs de ses États. Je suis sûr en outre que les forces de progrès dont j’ai parlé sont à l’unisson d’une telle position. Mais alors pourquoi donc ces mêmes forces s’arrogent-elles le droit de tuer lorsqu’il s’agit de l’avortement ou de l’euthanasie ? Ne devraient-elles pas d’autant plus le refuser que les créatures concernées sont plus faibles et ne peuvent leur opposer aucune résistance ?
A l’inverse, lorsque les autorités de l’Église catholique, et les catholiques plus généralement avec elles, du moins ceux qui ne se payent pas de mots, s’opposent à la peine de mort comme à l’avortement ou à l’euthanasie, elles ne se mettent pas seulement du côté des plus faibles, ce qui est déjà beaucoup, elles ont aussi le mérite et la justesse de la cohérence : on ne peut prétendre protéger et défendre la vie si l’on choisit les vies que l’on veut sauver et celles que l’on peut faire disparaître.
Le combat pour la vie ne peut être que le combat d’une vie pour toute vie [2]. Ce qui n’interdit en rien, mais au contraire exige la bienveillance, la compassion et l’assistance dans les situations douloureuses, voire extrêmes.
[1] Comme je l’anticipais, ce point fait sursauter tel ou tel(le). On me cite le canon 2267 du Catéchisme de l’Église catholique : « L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains ».
Je prends bonne note mais, au risque d’aggraver mon cas, je note aussi :
a) Que la formulation « n’exclut pas » est très restrictive, au point « d’exclure » pratiquement la peine de mort, et suggère une évolution en cours.
b) La question de l’identification du coupable, on le constate tous les jours et de plus en plus avec les tests d’ADN, pose des problèmes redoutables.
c) « L’unique moyen praticable » : ne peut-on pas penser qu’il en existe d’autres ?
Bref, mon opinion est que le point de vue de l’Église catholique a évolué sur ce point, et qu’il pourrait ou devrait évoluer encore. Ne serait-ce que pour cette question de cohérence que j’évoque.
[2] Je pensais ici qu’il était clair que je ne considérais que la vie humaine, compte tenu des situations évoquées, avortement, peine de mort, euthanasie : à la lecture de certaines réactions, je précise donc ce point.
C’est peu ou prou la discussion que j’avais il y a quelques jours, expliquant que défendre la vie ne signifiait nullement juger ceux qui sont dans une situation difficile, mais au contraire suppose avant tout cette compassion. Une compassion active, pas seulement de la pitié. Une compassion en vérité.
A mon sens, ce texte mériterait une diffusion très large car l’argumentaire est d’une logique implacable .