Frères et sœurs, rien ne sert de le nier, l’inquiétude ou le souci sont notre lot quotidien : la famille, la nourriture, le travail, l’argent, la santé, aujourd’hui plus que jamais la guerre, voilà mille raisons de nourrir bien des inquiétudes. Mille raisons qui sont de bonnes raisons, celles de gens responsables, et qui nous font considérer l’évangile d’aujourd’hui comme totalement hors-sujet : que les enfants se conduisent comme Jésus le demande pourrait encore se comprendre, mais des adultes ! Non, qu’on se le dise, les adultes, je parle de vous comme de moi, sont des gens inquiets justement parce qu’ils sont responsables, ils sont inquiets par devoir et c’est tout à leur honneur !
Pourtant, Jésus ne parle pas à des enfants, mais à ses disciples, ceux de son temps comme ceux d’aujourd’hui. Notre réaction pose une question : mais de quoi donc sommes-nous responsables ? Le travail, la vie, la santé, la famille ? Pour une part sans doute, mais pour une part seulement comme le prouve le fait que nous pouvons les perdre dans les semaines, les jours ou même les heures qui viennent.
Pour le dire autrement, nous ne sommes à l’origine de rien, tout nous est donné, ou, pour reprendre la célèbre phrase de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « tout est grâce ». Ce qui ne nous confère en rien une grâce d’irresponsabilité, mais nous indique où se trouve notre responsabilité : celle de tout rapporter à Dieu, de lui rendre grâce, c’est-à-dire de lui retourner les dons reçus après les avoir fait fructifier pour lui selon son bon vouloir. L’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens appelle cela « être les serviteurs de Dieu, les intendants de son mystère » ; Jésus dans l’évangile dit « cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice », mais il s’agit de la même attitude.
La priorité est d’autant plus importante et justifiée que si les chrétiens n’investissent pas leur responsabilité propre, qui le fera à leur place ? Et l’Argent imposera son règne de force et d’injustice, comme il le fait déjà largement autour de nous, et peut-être même aussi en nous, fût-ce je l’espère à une échelle plus réduite : voyez comment dans les entreprises l’intérêt des actionnaires l’emporte si souvent sur celui des salariés, voyez les crises financières où des milliards d’euros sont dilapidés, voyez le pillage des richesses minières ou alimentaires de certains pays, voyez les guerres dont les causes économiques sont souvent plus importantes que les raisons humanitaires… Et j’en passe.
Frères et sœurs, dans quelques jours commence le Carême, avec ses trois accents fondamentaux bien connus : l’aumône, la prière et le jeûne. Je voudrais évoquer dès aujourd’hui la prière. Elle nous remet sans cesse en face d’un Père attentif, qui ne nous oublie jamais comme le rappelait le prophète Isaïe ; mais elle nous donne surtout d’apprendre auprès de lui le discernement et le détachement vis-à-vis de l’Argent, exigences tout à fait nécessaires à l’établissement sur notre terre du Royaume de Dieu et de sa justice. Aussi, contrairement à ce que certains pourraient penser ou dire, cette prière n’est ni une absence ni une démission, mais une urgence et une responsabilité qui nous incombe : c’est une évidence mal connue, mais les grands priants sont souvent sinon toujours, fût-ce de manière cachée, les acteurs les plus efficaces de la transformation de notre monde.