Paix et humilité à contretemps

Frères et sœurs, la première lecture, tirée du livre de Zacharie, évoque la possibilité pour un homme monté sur un ânon, de repousser les chars de guerre et de proclamer la paix aux nations. Pour un chrétien, il s’agit évidemment d’une annonce voilée de la venue de Jésus et de son entrée à Jérusalem ; pour ma part, je vous l’avoue, je vois aussi, bien qu’il ne fût pas sur un ânon, ce jeune homme d’une vingtaine d’années qui, il y a 25 ans, à Pékin, s’est dressé sur la place Tien An’Men devant un tank en invitant son conducteur à rebrousser chemin : il n’y a pas réussi, il a été écarté de la route du char et on ne l’a plus jamais revu.

Et une question surgit : l’échec de ce jeune homme lui est-il imputable, lui manquait-il la foi, Jésus lui-même aurait-il fait mieux ? Aujourd’hui où Jésus nous invite à l’humilité, je ne le crois pas : d’ailleurs, on ne peut pas dire que la suite des événements ait mieux réussi à Jésus qu’au jeune homme. Alors, me direz-vous, le prophète Zacharie ou Jésus parlent-ils pour ne rien dire ? Eh ! bien je ne le crois pas non plus. En fait, il faut bien comprendre que par la bouche du prophète Zacharie comme par celle de Jésus, Dieu ne nous garantit pas le succès selon des normes mondaines, il nous garantit une forme de réussite que le monde ne connaît ni ne maîtrise. Pour le dire autrement, ce n’est pas, comme nous l’imaginons volontiers, parce que Jésus quitterait son ânon pour chevaucher un magnifique coursier, entouré d’une nuée de ses partisans, qu’il serait alors vainqueur et porteur de paix, c’est bien quand il est sur son ânon et qu’il y reste ! Et le jeune homme dont je vous parlais a peut-être plus fait pour la paix que s’il avait renversé le char !

Alors, où se situe la réussite de ce jeune homme ou de Jésus ? Pour une part dans le fait que l’on parle encore d’eux longtemps après leurs exploits, mais il s’agit là d’une maigre consolation. On peut aussi penser qu’ils ont eu accès tous les deux à une paix personnelle, à ce repos que Jésus promet justement aux humbles dans l’évangile : en agissant à contre-courant, ils se sont placés sous l’emprise de l’Esprit et non sous celle de la chair, comme y invite notre deuxième lecture.
Mais leur réussite la plus grande est sans doute d’avoir « grippé la machine » de la violence, elle qui se nourrit d’actions et de réactions parfaitement symétriques : ils ont eu une réaction inattendue, ils ont fait faire un écart à ceux qui les ont finalement écartés, ils ont rompu un cycle infernal dont nous voyons tous les jours autour de nous les méfaits. Bien sûr, une action isolée de ce type ne semble pas avoir beaucoup d’effets, et le cours des choses n’en paraît pas fondamentalement changé, mais la réalité profonde pourrait bien être tout autre.

Frères et sœurs, vous connaissez sans doute l’expression « défaut de la cuirasse », qui désigne le point faible d’une protection apparemment indestructible : lorsqu’un tel défaut existe, la protection finit nécessairement un jour ou l’autre par se désintégrer. Dans un monde où l’orgueil règne en maître, introduire de l’humilité, la prôner, la propager, c’est justement introduire un défaut dans la cuirasse, mettre un ver dans le fruit pour recourir à une autre image : bien sûr, la temporalité n’est pas la même, il faudra sans doute plus de temps pour parvenir à un résultat, mais celui-ci sera mieux assuré que par une autre action d’orgueil, du type action-réaction, qui ne changera rien en profondeur. Merci Seigneur d’avoir révélé cela aux sages et aux petits, et de l’avoir vécu jusque sur la Croix.

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