Frères et sœurs, la jalousie serait-elle un défaut spécifiquement féminin ? Figurez-vous que l’on en débat sur les forums en ligne, alors que, dans la mesure où cette jalousie résulte de l’appréhension du manque, à savoir « je n’ai pas ce que l’autre a ou paraît avoir », elle s’éprouve certainement aussi bien chez l’homme que chez la femme : d’ailleurs, dans la première lecture, elle est le fait de Josué qui voulait se réserver l’esprit de prophétie, et dans l’évangile, de Jean qui voulait s’approprier la capacité à expulser les démons.
Mais faut-il vraiment parler de jalousie, même si c’est le mot qu’emploie Moïse à l’adresse de Josué, ne serait-ce pas plutôt un manque de foi ? Remarquons en effet que les deux facultés que je viens de citer sont d’origine divine et Moïse le souligne en répliquant à Josué : « Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! » tandis que Jésus le fait observer à Jean : « celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ». En réalité, nos deux hommes, qui ne sont pas des personnalités mineures –Josué succèdera à Moïse, Jean est l’un des membres importants du collège des Douze– et qui devraient donc être exemplaires, se montrent ici petits : ils veulent limiter l’usage des dons divins, et finalement Dieu lui-même. Ils se font un Dieu à leur mesure, tentation fréquente à toute époque, et ils manifestent bien un manque de foi.
Ils oublient ce que nous oublions nous-mêmes très souvent : les limites ne se trouvent pas en Dieu mais en nous. Elles tiennent pour une part à notre condition humaine, et nous n’y pouvons rien. Mais pour une autre part, et peut-être la plus importante, il y va de notre responsabilité : la jalousie peut-être, le manque de foi sans doute, nous enferment dans nos limites humaines, et notre champ de vision s’en trouve réduit. « Rien n’est impossible à Dieu », disent bien nos évangiles (Lc 1,37 ; Mt 19,26), parce que, dans la foi, par lui, avec lui et en lui nous pouvons tout : mais nous n’en sommes-nous sans doute pas toujours assez convaincus, et ne manifestons pas l’abandon qui convient.
D’après l’auteur de la lettre aux Hébreux, Moïse que nous évoquons aujourd’hui fut d’une autre trempe : « il quitta l’Égypte sans craindre la fureur du roi : comme s’il voyait l’Invisible, il tint ferme » (He 11,7). Vous avez bien entendu : « Comme s’il voyait l’Invisible, il n’a pas craint… » : il a eu foi en la puissance de cet Invisible qu’est Dieu, il ne l’a pas enfermé dans ses propres limites, il a ouvert son champ de vision, il a trouvé l’audace et le courage de se lancer avec son peuple pour quarante ans dans un désert inhospitalier.
Frères et sœurs, dans nos vies, nous sommes confrontés souvent à de difficiles défis, face auxquels nos limites sont criantes : le chômage, la maladie, la mort d’un proche, aujourd’hui l’accueil des migrants en sont des exemples parmi bien d’autres. Pour les dépasser, nous devons certes mobiliser toutes nos forces humaines, mais non pas nous y réduire : l’évangile d’aujourd’hui nous invite à nous délester de tout ce qui pèse et nous enferme dans notre monde, à prendre de la hauteur, à crier vers le Seigneur et à nous en remettre à lui dans la foi. Peut-être aurons-nous le sentiment de nous perdre nous-mêmes, mais nous ne perdrons en fait que ce qui nous limite, alors que nous gagnerons la vision et la force de notre Dieu.