Le silence des agneaux

agneau monastère chalais
Clé de voûte, monastère des Dominicaines de Chalais

Comme un agneau qu’on mène à l’abattoir, il n’ouvrait pas la bouche (Isaïe 53,7)

Il y a silence et silence. Du premier silence, on dit qu’il est le Père des Prêcheurs, il favorise la rencontre de Dieu et ouvre à la prière, il est à la source de toute prédication, il est agréable à Dieu. Et puis il y a le deuxième silence, celui que l’on dit justement « complice » ou même « coupable », qui cherche à cacher : lui est honteux, voire monstrueux en certaines circonstances, et ne saurait plaire à Dieu qui souhaite au contraire que soient révélés les secrets des cœurs.

L’Église favorise la culture du silence, mais elle a trop longtemps préféré le deuxième silence au premier. Aujourd’hui, dans le journal La Croix, on apprend ainsi qu’une enquête réalisée à l’instigation de l’évêque de Fribourg, Mgr Charles Morerod, un de mes frères dominicains, vient d’être rendue publique : elle concerne les abus sexuels commis sur des enfants pauvres âgés de 10 à 14 ans, entre 1926 et 1955, à l’Institut Marini de Montet-Broye… Affaires analogues en Irlande, et dans bien d’autres pays.

Et Mgr Morerod de révéler qu’une lettre épiscopale avait été lue en chaire dans le passé pour défendre les prêtres abuseurs, mais aussi et surtout qu’il avait découvert grâce à cette enquête l’obligation édictée par Pie IX, en 1866, de « conduire toutes les procédures d’enquête dans le secret le plus complet » quand il s’agissait de prêtres abuseurs. Une confidentialité réaffirmée, toujours selon La Croix, en 1922 et 1962 par le Saint-Siège, et qui ne sera levée qu’en 2011 par Benoît XVI ! Avec cela, on ne s’étonnera plus que, tout saint qu’il soit, Jean-Paul II -mais aussi ses prédécesseurs- ait si largement et si longtemps négligé les horreurs commises par le Père Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ (voir l’ouvrage de Xavier Léger, Moi, ancien légionnaire du Christ, en particulier dans ses dernières pages), et les exactions de tant d’autres fondateurs.

Loin de moi l’idée de jeter le discrédit sur les religieux ou les prêtres en général : je continue de croire que le nombre des déviants n’y est pas nécessairement plus important que dans d’autres groupes humains, mais leur « statut », la confiance que leur font les individus et les familles, leur donnent une responsabilité écrasante. Et lorsqu’on sait aujourd’hui (mais ne l’a-t-on pas toujours « un peu » su ?) les dégâts provoqués chez les victimes, le terme de « silence coupable » est sans doute trop faible : il faut résolument changer de culture, et accueillir les paroles des victimes à qui l’on impose encore trop souvent « le silence des agneaux ».

Une réponse à “Le silence des agneaux”

  1. C’est sur le portail catholique suisse qu’on trouve des éléments concernant ces archives dont vous parlez.

    Des évêques en vie, ayant tu ou taisant en France des problèmes similaires, et bien plus contemporains, il faut donc utiliser le passé, dans un autre pays, pour les sortir de leur torpeur ?????

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