Vive la charité !

la charité du ChristPrédication prononcée chez les soeurs Dominicaines de Saint-Matthieu de Tréviers pour le 5e dimanche de Pâques (Ac 14,21-27 ; Ap 21,1-5 ; Jn 13,31-35)

Mes sœurs, chers amis, quand j’entends le verbe aimer, je me demande avec beaucoup de scepticisme : mais que vais-je bien pouvoir dire à ce sujet ? Il n’est pas de verbe plus galvaudé aujourd’hui : sur le réseau social Facebook par exemple, c’est merveilleux, tout le monde s’aime ! Et le plus souvent sans se connaître personnellement : très probablement d’ailleurs, si l’on se connaissait personnellement, on s’aimerait moins…

Et pourtant, la tradition chrétienne a quelque chose à dire et à défendre sur ce thème de l’amour, et je voudrais souligner quelques points. En premier lieu, l’amour dont les chrétiens parlent n’a rien à voir avec celui qui se dit sur la place publique, dans les revues et les réseaux sociaux : le mot grec pour le dire, agapê, est spécifique, et même si les traducteurs l’oublient trop souvent, il existe aussi un mot français spécifique, celui de charité. C’est un mot que les traducteurs et nous-mêmes ne souhaitons pas employer, parce qu’il a connu la mauvaise fortune d’être trahi dans l’expression « faire la charité », mais c’est celui qu’emploie l’évangile de Jean, que nous avons entendu, comme aussi les lettres de Paul, et il est tout à fait original : voilà pourquoi Jésus peut donc bien dire que c’est à cet amour, en fait à cette charité, qu’on reconnaîtra ses disciples.

En effet, l’amour dont nous parlons, autrement dit la charité, n’est pas l’amour dont nous vivons tant bien que mal entre conjoints, entre amis, entre frères et sœurs, mais bien l’amour dont vivent entre eux le Père, le Fils et le Saint-Esprit, l’amour trinitaire : et il se reçoit par participation, ce que nous connaissons sous le terme de « foi ». Oui, frères et sœurs, entendez-moi bien, la foi n’est pas d’abord l’adhésion à un catalogue de vérités, mais c’est ce qui nous relie à Jésus, et au-delà de lui à Trinité. Un lien d’amour qu’il faut donc accueillir, auquel il faut faire de la place, et c’est toujours ce que l’homme arrive le plus difficilement à faire : laisser de l’espace à l’autre, et à ce tout autre qu’est la Trinité. Voilà bien pourquoi l’amour est un combat, non pas contre l’autre ou les autres, mais bien en soi. Quand la première lecture, tirée des Actes des Apôtres, parle d’épreuves, de persévérer dans la foi, c’est bien d’abord ce combat personnel qui est évoqué.

Un combat qui prend du temps : car aimer s’apprend, c’est une construction au fil du temps. Ce n’est pas, comme le pensent ou le laissent penser un grand nombre de nos jeunes amis, un donné de départ que nous épuiserions au fil de nos vies, et dont il faudrait se débarrasser ensuite par une mise à jour, mais un trésor à constituer et faire croître tout au long de notre vie. Voilà pourquoi Barnabé et Paul exhortent les disciples à « persévérer dans la foi ». Vous savez, comme confesseur, il n’est pas rare que j’entende des aveux du genre « je retombe toujours dans les mêmes fautes », en soupirant après la baguette magique qui va tout recréer d’un coup. Mais il n’en va pas ainsi dans la vie spirituelle : on n’y progresse que par petites touches discrètes, sous l’action de cette grâce qu’évoque la première lecture. Parce que nos cœurs ne sont pas à la mesure du cœur de Dieu, de cet charité parfaite qui se vit au cœur de la Sainte Trinité, et l’élargissement de notre cœur ne peut qu’être progressif au risque de tout casser.

Frères et sœurs, quand on lit le livre de l’Apocalypse, qui nous a été proposé en première lecture, on peut avoir le sentiment que le mieux dans nos vies est d’attendre ce temps de la Jérusalem nouvelle venant des cieux : c’est alors et alors seulement que Dieu fera sa demeure en nous et essuiera toute larme de nos yeux. Mais en réalité, ce temps a déjà commencé, Dieu a déjà entrepris de faire sa demeure en nous à la mesure de cette charité que nous avons pour lui et pour nos frères, à la mesure de l’ouverture de nos cœurs. Dès aujourd’hui, il fait « toutes choses nouvelles ».

 

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