Un ami me disait ce matin que le terme paganisme ne pouvait s’appliquer à des chrétiens, fussent-ils égarés, et que le Magistère en réservait d’ailleurs l’usage à des situations religieuses bien précises. J’ai pourtant choisi de garder le terme, et de le rapporter à des formes idolâtriques en opposition au christianisme, par exemple l’argent (le fameux Mammon de Luc 16,9-13, qui se fait si facilement oublier), l’orgueil, le mensonge, la rejet du prochain (celui dont on se rend proche, d’après la parabole du Bon Samaritain en Lc 10,29-37), le refus du partage, le massacre de la terre, l’euthanasie etc. A ce compte, tout le monde l’aura compris, les deux candidats qui sont proposés aux suffrages des Français le 7 mai prochain sont deux représentants d’un unique paganisme, et je trouve vain d’essayer de partager les bons ou les mauvais points, comme beaucoup de gens autour de moi, et beaucoup d’amis en particulier qui veulent se rassurer dans leur choix, s’y essayent… Et j’ai le sentiment que nos amis américains n’étaient pas mieux lotis que nous lors de leurs dernières élections : le phénomène serait-il nouveau et en train de devenir planétaire ?
En fait, ce paganisme n’est pas neuf, il est constitutif de notre monde depuis les origines, et j’ai envie de dire « depuis le péché d’Adam » dont il est largement le fruit. Le récit de Gn 3 veut nous le faire comprendre : l’homme ne vit plus au Paradis, mais dans un monde déboussolé, désorienté comme je le dis souvent, dont il finit par partager les errements ; pour autant qu’il ne les augmente pas sur une terre dont il est souvent le massacreur au lieu, conformément à la mission reçue de Dieu (Gn 2,15), d’en être le gardien. Et le chrétien n’est pas, sauf grâce prévenante de Dieu, à l’abri de tels errements.
Beaucoup convoquent alors la doctrine du moindre mal, mais les circonstances ne permettent pas toujours, et permettront sans doute de moins en moins, un discernement clair sous ce regard. Il est non seulement vain, mais faux de prétendre faire des choix complètement éthiques, en se situant « au-dessus de la mêlée » grâce à un discernement qui produirait un résultat incontestable : il faut donc choisir même si l’on pense qu’aucun élément du choix n’est bon. Comme me le confiait un ami, dans le cas présent, on peut poser en principe que les deux formes de paganisme se valent, et le choix devra se faire non pour le moindre mal, mais parce que tel ou tel critère paraîtra absolument dirimant à une conscience donnée, et mieux pris en compte ici que là : pour l’un ce sera le critère d’accueil des migrants, pour un autre celui de l’intégration européenne, pour d’autres le critère de l’accueil de la vie, pour un autre encore le critère du souci des pauvres etc. Ne nous étonnons pas que, dans la désorientation générale qui s’appesantit sur notre monde, et du fait qu’aucun candidat ne peut prétendre remplir l’ensemble des critères, ni même pleinement n’importe lequel d’entre eux, les opinions divergent ; et que les évêques eux-mêmes semblent hésiter aujourd’hui plus qu’hier à faire le partage.
Oui, le choix à faire est cornélien pour beaucoup, mais ce n’est sans doute qu’un début : il devrait y en avoir beaucoup d’autres aussi difficiles dans les années à venir, dans la mesure où le christianisme devient de plus en plus minoritaire dans notre société, et que continue dans le même temps et paradoxalement de se développer l’anti-christianisme. Personnellement, mon choix est fait, mais je me refuse catégoriquement à ostraciser ceux qui feraient un choix différent, sur d’autres critères que les miens : je les comprends même si je ne les approuve pas. Je préfère que nous levions les yeux ensemble, et que nous regardions plus loin que l’élection à venir : qui que nous soyons, nous devons travailler à bâtir selon nos moyens un monde plus fraternel ouvert à tous, sans exclusion. Les résultats de la prochaine élection présidentielle ne devraient pas nous en empêcher, et il n’est personne qui ne puisse y contribuer à sa mesure. Le pape François vient encore de nous le rappeler dans une remarquable communication de près de 18 mn, enregistrée au Vatican, mais destinée initialement aux participants d’un colloque tenu récemment à Vancouver. C’est ici (pour avoir les sous-titres en français, souvent mal traduits -pourquoi ne pas avoir gardé le mot fraternita lorsqu’il est utilisé ?-, cliquer sur l’icône rouge aux trois petits points et choisir la langue française) :